ti'iiî'-;'':- mààm Digitized by the Internet Archive in 2010 witin funding from University of Ottawa littp://www.arcliive.org/details/journalduneexOObaug JOURNAL U UNE EXPÉDITION CONTRE LES IROaUOIS Air CANADA, EN j (; 8 7 2)4^7 ERNEST SERRIGNY ANCIEN MAGISTRAT S E C R É T A I K !•: U lî I. A COMMISSION DES ANTIQUITES U U U É !• A R T E M E N T U E L A C O T E - D ' O R JOURNAL D'UNE EXPEDITION CONTRE LES IROQUOIS EN 1687 Rédigé par LE CHEVALIER DE BAUGY -^/flfe (/e camp de M. le marquis de Denonville LETTRES ET PIECES RELATIVES AU FORT SAIiNT - LOUIS DES ILLINOIS S PARIS ERNEST LEROUX, EDITEUR 28, RUE BONAPARTE, 28 1883 ^ ?■ NOTICE GÉNÉALOGIOUE NOTICE GÉNÉALOGIQUE 1 Le chevalier de Bangy, aiiteur du Journal qii07i va lire, appartenait à tme famille très ancienne dît Berry. Une généalogie ^ qtte notis possédons et à laquelle nous emprunterons les renseignements résumés dans cette notice, men- tionne que, dès le teinps de Chaînes le Chaitve, ce 7nonarque laissa pour gouvernetir à Bourges Pierre de Baugy. En iSôjf., un de ses descendants , Jean de Baugy fut tiîi des commandants d'armées à la bataille qui se donna contre les Anglais devant Sancerre. En 1424, alors que Charles VII tentait ses premiers efforts poiir chasser les envahissetirs et obtenait déjà contre eux quelqties succès sur les bords de la Loire, Nicolas de Baugy com- — 8 — mandaii dans Atnay en Bourbonnais lors dit siège de cette ville. ^vX\ç,x\, frère de Nicolas, maire de Bonj^ges, en 1420, y décéda e7i 1462. Jean de Baugy , fils de Julien, éponsa Col- lette le Roy, fille d.e Martin le Roy , maître d'hôtel de Charles VIL Jean^ son fils , échevin de Bourges en iS2ç et iS3o, se maria à demoiselle Guyonne de Cucharmois , fille de Jean de Cucharmois , chevalier de la Table Ronde , leqtiel fit un voyage à Jérusalem en 1490 et fut échevin de Bouj^ges, où il fit bâtir, rite des Attvens, 7m superbe hôtel appelé le Petit Louvre. C'est hci qui tradttisit « le roman de Gtiériît Meschin , d'italien en français et la vie du dit G2iéri7i£n la même langue (iSio) , » Jean de Baugy, époux de Guyonne de Cu- charmois, eut une nombreuse postérité . Quand il mourut , sa vetcve , qui avait embrassé la religion protestante , se retira à Genève (iSSS) où elle moîirtit vers 1S60, après avoir partagé ses biens du Berry entre les htiit enfants qti'elle laissait en France. L'un d'eux , Jean le jeune, qui resta à Bourges et épousa demoiselle Marie Aval, fut père de René de Baugy, seigneur de Ledetiille, — Q — qjtalijié, en septembre iS33, (( chaujfecire de la cluincelleric » et André de Bmtgy, seigneur du Pallot, conti'ôleur ordïnaïre des guerres (iSyiJ, (( conseiller notaire, secrétaire etauntosnier du Roy, maison et couronne de France de l'ancien collège des six vingts. » // habitait la ville de Sancerre. André de BaiLgy, marié à demoiselle Mi- chelle Fortin, eut deux enfants dont Nicolas de Baugy , seigneur de Villecien, Villevallier et autres lieitx, « cojiseiller dit Roy en ses con- seils d'Etat et privé, makre ordinaire de son Iwtel et ambassadeur poîir Sa Majesté en Hol- lande ». Parmi les trois enfants de Nicolas , Gene- viève^ Guillaume et Frédéric, ce dernier ftit l'objet d'tine distinction particulière : les Etats généraux des provinces du Pays-Bas daignè- rent être son parrain . Nous croyons intéressant de reprodîiire le doctimcnt qiù constate l'hon- neur rendu à l'ambassadeur de France. « Les Estais Généraux des provinces réu- nies du Pats Bas, à tous ceux qui cette verront ou lire orront, sahit, sçavoir faisons , d'autant que nous nous a s st irons qu'il ne seroit point desaggreable au seigneur de Baugy que notis nous présentasmes comme parains , sur le bap- tesme de son fils puisné, néicy à la Haye , du- rant sa résîdejtce, de pins poitr ce qitil a ia en semblable honnenr de tous les princes et poten- tats respectivement près lesquels il a résidé en diverses qualite's, et combien Letirs Seignetcries pour des considérations ne sçauraient pas bon- nement condescendre audict parainage , si est- ce toutefois après délibération trouvé bon et en- tendu, au regard des bonnes qualités dttdict seigneur ambassadeur et aussi au regard des notables services par Itty faits à l' avancement de la cause commune durant son séjour icy , de donner par cette audict fils dndict seigjieur ambassadeîir le nom de Frédéric^ et par des- sus de luy faire présent d'une somme de douze cens florins pour une fois, ce qu audict seigneur ambassadeur est notifié par les seigneurs de Rautwyk , Nordivyk et Braimont et délivré aussi ledict prese^it avec déclaration et assu- rance que Letirs Seigneuries tiendront bonne recommandation , son dict fils estant venu à l'âge capable pour l'employer au service de ces pais. Faict en l'assemblée desdicts seigneurs Estais Généraux à la Haye le xi*^ de septem- bre 1 634 » . Le frère de Frédéric, Guillaume de Baugy, conseiller du Roi, maître d'hôtel de Sa Majesté et capitaine dr clirvaiix légers (28 juin 76S2) (/a //s /es 7'cg:j}ic)ifs du cardinal Mazarin, fut père de Loin s Henry de Bangy, qui rédigea le [ournal et écrivit les Lettres que nous pul)lions. Son frère Eugène de Baugy, qui fi et tué au siège d'Arras oie ilcoinniandaii une compagnie de cavalerie dans le régiment de la Reine, avait épousé, en 1 ôçS, Anne Bonne Caille du Fommy , Jille de Honoré Caille du Foui^ny, qtii a conti- mté l'œuvre du P. Anselme , augustin dé- chaussé, intitulée : Histoire généalog-ique et chronologique de la maison royale de France, des Pairs, grands officiers de la couronne et de la maison du Roi et des anciens barons du royaume. . . Cet important ouvrage contient de nombreux renseignements sur la famille de Baugy. De retour en France , Louis Henry de Baugy, chevalier, seigneur de Villecien, Ville- vallier, Fay et autres lieiix, demeurant ordi- îiairement en son chàteatc de Villecien, fut nommé, le iç février lôgô, capitaine major à Saint-Julien du Sault. Anne Regnault , sa femme, était la Jille d'tm trésorier-payeur des gages honoraires des ojjiciers de la chancellerie près le Parlement de Bordeaux. H se retira à Paris, où il mourut le ig février îy20, et fut enterré auprès de ses ancêtres dans la cha- pelle de son châtea^i du Fay. Il laissa deux enfants : 7° Louis Eugène de Baugy, marié le 23 mai i y 33 à dame Marie Madeleine de Troyes. 2^ Le comte Jacques Henry de Batigy, sietir de Prémartin, seigneur baron d'Esnon et au- tres lieux , chevalier de Saint- Louis , marié ff avril lyôS) à Marie Louise Thérèse de Boug-ainville de Nerville, 7tièce de Louis de Bo7igainville, illustre navigatetir, et de Jean Pierre de Bougainville qui fut membre de r Académie française et secrétaire de l'Acadé- mie des Inscriptions . Des trois filles du comte facqties Henry de Baugy, l'tine Marie-Madeleine épotisa Pierre de Vaveray de la PéretLse, dont elle etit une fille : Marie- Germaine. C'est en compulsant les papiers trouvés à la mort de madame Mairie Gej'mainede Vaveray de la Péreîise, aïetile de madame Serrigny, que nous avons découvert le Journal et les pièces reproduites dans ce volume. Si l'on compare le récit de l' expédition contre les Sonnonthouans écrit par M, de Baugy, aide de camp du marquis de Denonville , avec la relation que le P. de Charlevoix nous a lais- séc^ on jugera de la Jidélité sci'upuletise avec laquelle le lieutenant de M. de la Durajiiayes a rapporté ce qu'ïl a fait et ce qtùïl a vu. Les lettres, qui sont imprimées phcs loin, pointent un cachet aux armes des Baugy : d'a- zur à trois chicots d'or surmontés d'un crois- sant de même. INTRODUCTION INTRODUCTION En rappelant ici ce qu'était la N'ouvelle-Fyance avant 1687, nous ne prétendons pas faire œu\rc d'historien; nous voulons seulement épargner au lecteur de fas- tidieuses recherches, lui permettre de suivre avec intérêt Xq Journal <\ç. M. de Baug-y et résumer la mis- sion de cet officier, tant auprès de Cavelier de la Salle qu'au pays des Illinois. « Sous ce nom d'Hyroquois (i), écrit le chevalier, Ton y entend cinq nations qui ont chacune un nom ou, pour mieux dire, cinq gros villages qui sont en- core divisés en d''autres ; ils se nomment : « Onontagues (Onondagas), Anyers (Agniers ou Mo- kazvs), Onejoust (Oneidas), Gorogoras (Goyogoiùins ou CayoïLgas) et Sonontonces (TscnnonUiouans , Soti- nontouans, Sonnontonuans ou Senecas). » Cette con- trée s'appela plus tard (17 15) les six nations^ quand, III Pour l'éiymologie du xï\o\. Iroqiiois, voir : le P. de Charlevoix, Histoire génciak de la Nouvelle-France, I, p. 271. — Parknian, Les Pion- niers français dans l'Amérique du Nord, traduction de Mme la comtesse Gédéon de Clermont-Tonnerre. Paris, Didier, 1874, Introduction, p. XXXII. — IS épuisés par des revers successifs ou décimés par la famine et la maladie, les Iroquois adoptèrent une sixième tribu : les Tuscaroras. Le pays comprenait soixante-dix à quatre-vingts lieues de Test à T ouest, c'est-à-dire de la Rivière des Iroquois (i) au Niagara. Il était borné au nord par le Lac diL Saint-Sacrement et le Fleiroe Saint-Laurent / au midi, par V Ohio et la Pensylvanie ; à Test, en par- tie, par la Nouvelle- York; à Touest, par le Lac On- tario et le Lac Eriê. Dès le jour où les Français mirent le pied sur le sol américain, les Iroquois furent et demeurèrent leurs ennemis irréconciliables. On peut dire avec M. de Baugy, que si cette nation « passe dans les esprits de ceux qui ont connoissance du Canada pour la plus méchante qui y soit », ce fut aussi la plus habile. Sa politique constante en est la preuve. Di- viser les tribu-s voisines qui la menaçaient ou con- tractaient alliance avec nous, ménager les Anglais, nos rivaux, qui s'en firent des instruments contre la Colonie et non de véritables amis, ruser sans cesse pour endormir les Français, au moment critique, sous les apparences d'une paix hypocrite, se faire désirer partons les partis sans se donner jamais ni à l'un ni à l'autre, telle fut la ligne de conduite observée par les Iroquois avec une ténacité inébranlable. Ce peuple, essentiellement guerrier, était tout puis- sant lorsque les premiers Européens débarquèrent dans \2i Nouvelle- Fraîtce (2). Dès son arrivée au Cana- (i) Rivière de Richelieu ou de SorcJ. (2) En 1650, quand il était à l'apogée de sa prospérité, le peuple Iroquois comptait, dit-on, environ 25.000 âmes; mais, en 1687, il ne pouvait mettre que 2.000 hommes sous les armes, ce qui impliquerait — IQ — (la, Champlain crutdexoir céder aux supi^lications des Adiroudaks opprimés et les mena contre les Iroquois. Il les battit, mais ce succès fut Torio^ine des "[-uerres interminables que nous eûmes, par la suite, à soute- nir contre cette nation, (i) Après avoir, en 1610, défendu contre de nouvelles attacjues les Montagnais (2) et les Algonquins (3)^ Champlain se mit, cinq ans plus tard, à la tète des Hiùrois, c|ui avaient imploré sa protection ; mais, blessé dans cette campagne, il dut se retirer. Ce- pendant les Iroquois ne reparurent qu'en 1636. De- puis ce moment jusquW Tannée 1642, ils ne cessèrent de harceler nos alliés. L.e/orl de Richeliciù^ construit maltrré leurs protestations armées, les intimida : ils demandèrent la paix et, grâce aux nég-ociations du R. P. Vimond (4), supérieur des missions, un traité leur fut accordé aux Trois-Rivières par M. de Mont- mag-ny, gouverneur général. Tous les cantons le ratifièrent en 1645. Les Iroquois ne devaient pas rester longtemps dans un état de tranquillité incompatible avec leurs instincts belliqueux. On avait donné aux Agniers pour missionnaire le P. Isaac Jogues (5), de la Com- une population à peine supérieure à 12.000 âmes. (Parkman. Les Pion- niers français. ^Introduction, p. LIII.i (Il Parkman. — Idem, p. 288. -- Charlevoix, Histoire générale, I, p. 147 et suiv. 12) Hordes éparses des Papinachois, des Bersiamites et d'autres, qui erraient entre le Saint-Laurent et la baie d'Hudson. — (Parkman, Idem, p. V.) 13) Les Algonquins et les Adiroudaks occupaient une partie de la Virginie, de la Pensylvanie, du New-Jersey, du S. E. New-York, de la Nouvelle-Angleterre, du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Ecosse et du Bas-Canada. — (Parkman, Idem, p. m. — Les Jésuites dans l'Amérique du Nord. p. 162.} (4) Parkman. - Les Jcsuilcs dans l' Amérique du Nord., p. 153, 156. (5) L'abbé Paillon. Hisloirc de la colonie française en Canada. — 20 — pagnie de Jésus ; la maladie ayant fait un grand nombre de victimes parmi eux, et les vers ayant dévoré leur blé d'Inde (maïs), ils accusèrent le pau- vre religieux d'avoir apporté dans un coffre le dé- mon auteur de ce double fléau, et Tassassinèrent le 17 octobre. Le meurtrier, pris Tannée suivante et brûlé par les Algonquins, mourut chrétien. En 1648, les Onnontaguès battus par les Hurons traitaient avec eux, quand deux autres cantons iro- quois, les Agniers et les Sonnontonnans, vinrent fondre sur le vainqueur. Après avoir anéanti la Bour- gade de Saint-Joseph, tué le F. Daniel (4 juillet), ex- terminé la Bourgade de Saint-Ignace, ils saccagèrent la Bourgade de Saint-Louis (16 mars 1649), brûlè- rent les P P. de Brébeuf et Lallement et ruinèren*^ la Bourgade de vSaint-Jean, où le P. Charles Garnier kit mis à mort. La maladie et la famine devaient bientôt achever cette œuvre de dévastation (1650J ; enfin, les habitants des Bourgades de Saint-Michel et de Saint-Jean-Baptiste ayant pris le parti d'aller vivre a\ec leurs ennemis, la nation huronne dispa- rut, (i) M. Louis d'Ailleboust de Coulonges, (2) gentil- homme champenois, gouverneur de la Nouvelle- France, était impuissant à venger seul nos malheu- reux alliés. Les Anglais proposaient de se joindre à II, p. (x), 63. — Parkman, les Jésuites dans l'Amérique du Nord, p. 171, 173, 174, 235. — P. Margry. Mémoires et documents pour servir à l' histoire des origines françaises des pays d' outre-mer , I, p. 38. — Charlevoix, Histoire générale, I, p. 275 et suiv. (i) Charlevoix. Histoire générale^ I, p. 284, 290, 292,297,302. — L'abbé Paillon, Histoire de la colonie^ II, p. m. — Parkman, les Jésuites... p. 299, 307, 313, 327, 345. (2 Parkman, Loco citato, p. 158. — Charlevoix, Loco ciiato, p. 281 . — 21 nous ; mais on so clrhait cPcux, car on savait, par expérience, qu'ils se souciaient peu de combattre les Iroquois, dont ils n'avaient rien à craindre et qu'ils n'ont cessé d'entretenir dans un état d'hostilité pré- judiciable à nos intérêts. Toutefois M. de Lauson, (gouverneur de Québec, "voulut ag^ir ; il envoya contre les Iroquois le g"Ou- verneurdesTrois-Rivières, M. Duplessis-Rochart (i), (jui trou^•a la mort dans cette expédition. L'ennemi continua impunément ses incursions (165 1) ; son in- vSolence devint extrême; mais le gouverneur général, sans troupes suffisantes et sans espérances de ren- fort, dut tout supporter. Ce renfort, si impatiemment désiré, M. de Mai- sonneuve, qui succéda à M. de Lauson, réussit à Tob- tenir. Il avait dépeint à la Gourde France la «situation déplorable de la Colonie, montré la possession de l'île de Montréal sérieusement compromise; le roi lui envoya cent hommes (1653). C'était peu; néan- moins l'arrivée de cette petite troupe décida les can- tons d'Onnontao-uès, d'Onneyouth et de Goyog-ouin à faire la paix (2); mais les Ag-niers, au nombre de cinq cents, essayèrent d'attaquer les Trois-Rivières. M. de Maisonneuve, avec une partie des Français dont il pouvait disposer et quelques Hurons échap- pés aux précédents désastres, battit les Ag-niers et fit leur chef prisonnier. Ce canton, comme les autres, était forcé de se soumettre. La paix, troublée un instant par l'assassinat d'un frère jésuite, que tuèrent les Iroquois (1654), parais- sait durable; les Ag-niers, eux-mêmes, avaient de- (i) Charlevoix. - Hisl.géu. I, p. 309. (2^^ Charlevoix. - Idem. I, p. 313. mandé un missionnaire et le P. Simon le Moyne (i), de la Compag^nie de Jésus, leur avait été accordé. Pendant que les autres cantons détruisaient la nation des Eries ou du Chat^ les Onnontaguès ne cessaient de protester de leur fidélité et, dansPespoir de fonder parmi eux une colonie, on leur envoya cinquante Français conduits parle P. Le Moyne (avril 1656) (2). En vain les Agniers, jaloux des Annontaguès, avaient- ils, avec quatre cents hommes, essayé d'empêcher les nôtres de passer ; ils avaient été repoussés (8 juin 1656) et nos soldats avaient vengé sévèrement la mort du P. Garreau (3), blessé par eux et qui suc- comba peu de temps après. La colonie tentée à On- nontaguès fut promptement menacée ; le P. Le Moyne découvrit (février 1658) (4) qu'une conspira- tion était tramée contre les Français. Ils se retirè- rent clandestinement et parvinrent à regagner Mon- tréal. Les hostilités recommencèrent à la fm de mai 1658. Des Iroquois étant venus massacrer des Algonquins, nos alliés, jusque sous le canon du fort de Québec, M. d'Argenson, gouverneur général, leur fit donner la chasse avec deux cents hommes. Français et sauva- ges ; effort inutile, car on ne put arriver jusqu'à eux. La situation de notre colonie était lamentable; << on ne pouvoit, dit le P. de Charlevoix (5), s'é- loigner des forts qu'on ne fût escorté et en bien des endroits on ne voyoit nulle apparence de faire la (i) Charlevoix. — Hist. gén. I, p. 316, 319. (2) P. Margry, — Mcm. etdoc. I, p. 38. — Charlevoix. Hist. gén. I, p. 321, 323. (3) Charlevoix. — Idem. \, p. 327. (4) Charlevoix. — Idem. I, p. ■^■j^S. (s) Charlevoix. — Hist. gén. I, p. 437. 2-? — récolte dont le tems approchoit. Plusieurs jugèrent qu'il la fin il faudroit tout abandonner. » Sept cents Iroquois, i\u\ a\ aient défait un grand parti de Fran- çais et de sauvages, tenaient Québec comme blocjué, et Ton était averti de leur projet de nous faire la guerre sans délai. En effet, à la fin de Thiver (1661), ils se montrè- rent de [)lusieurs côtés, ravageant tout sur leur pas- sage ; M. de Lauson, sénéchal de la Nouvelle-Finance^ et fils du précédent gouverneur général, périt dans une embuscade. Cependant au mois de juillet, les Iroquois vinrent spontanément à Montréal, échangèrent des prison- niers et proposèrent un traité de paix que Tétat des choses ne permettait pas de refuser. Le P. Le Moyne fut rendu au canton des Onnon- taguès, où, grâce à la sympathie de Garakonthié (i), leur chef, pour les Français, il sut faire beaucoup de bien et maintenir la tranquillité. M. de Baugy écrit en 1687 (2) : « Il y a vingt-deux ans que AI. de Tracy et M. de Courcelles, gouver- neur du pays, eurent affaire aux Onontaguès et Agniers qui donnèrent beaucoup de peine dans les commencements à rétablissement de la Colonie ; ayant esté un peu matez par 2 ou 3 marches que ces messieurs firent chez eux, ils demandèrent la paix la- quelle ils ont toujours bien tenue, estant à naistre qu'ils ayent tué aucun François. » Voici les événements que rappelle M. de Baugy. En 1663 (19 novembre), Louis XIV avait nommé (i) L'abbé Faillon, Hisi. de la colonie française en Canada^ III, p. 2. — C\vzx\^\o\x^Hist. gén. I, p. 352, 359. (2} Journal .\i . 50 vice-roi de la Notivellc-Fraîice et lieutenant-général de tous ses pays d'Amérique, M. Alexandre de Prou- ville, seigneur de Tracy. C'était, dit le P. de Charle- voix (i), « un chef dont les vertus chrétiennes au- roient fait honneur aux religieux les plus parfaits. Il en a laissé dans la Nouvelle-France des marques qui ne s'y effaceront jamais et une odeur de piété dont l'impression dure encore. » Malgré son âge, il con- venait, par son expérience et son désintéressement, aux desseins du roi qui tenait peu à étendre la Co- lonie. Il ne voulait que la protéger contre les insul- tes de ses ennemis, les tenir en respect et adoucir le caractère indomptable de la nation iroquoise par la sanctification. (2) Le 26 février de l'année suivante, AI. de Tracy s'embarqua pour l'Amérique, emmenant avec lui le régiment de Carignan, dont le commandement fut confié au colonel Henri de Chapelas, sieur de vSaliè- res, et qui s'appela depuis le régiment de Carignan- Sa lier es. (3) Le vice-roi, comme on le désigne, aborda à Qué- bec le 30 juin 1665, au milieu des acclamations de la foule ; M. de Laval, évéque, le reçut avec les plus grands honneurs et fit chanter un Te Deum pour cé- lébrer sa bienvenue. (4) Longue et périlleuse avait été la traversée. La santé des soldats, fort éprouvés depuis leur entrée dans les eaux du Canada, força M. de Tracy à ajour- ner la guerre, que l'insolence des Iroquois rendait (i) Charlevoix, Hist.gén. I, p. 389. (2) L'abbé Paillon, Hisl. de la colonie française, III, p. 118. (.^) L'abbé Paillon, i^i'^/. de la colonie, III, p. iiq, 120. (4) L'abbé Paillon. Idem, III, p. 121. — ^5 — . i.-->; (2) Charlevoix. Hist. gén. I, p. 487. (3) Charlevoix. Hist. gcn. I, p. 492. — 42 — rent, au nombre de deux cents, sur le fort Saint- Louis. « Ils rencontrèrent sur leur route quatorze François (i)qui alloient en traite chez les Illinois et qui voyageoient sans défiance ; il les chargèrent et leur enlevèrent pour quinze mille francs de marchan- dises Les Iroquois poursuivirent leur route vers la rivière des Illinois et parurent à la vue du fort de Saint-Louys où ils se persuadoient qu'on ne les at- attendoitpas. « Ils se trompèrent ; le sieur de Baugy et le cheva- lier de Tonty avoient été avertis de leur marche et se tenoient prêts à les recevoir. Ils s'en aperçurent dès la première attaque ou plusieurs furent tués et le vint huit mars ils firent retraite (2). » Dans une lettre du 2}^ avril 1684, le P. Nouvel (3), de la mission de Saint-François-Xavier, sig-nale à M. de la Barre la vaillance dont le chevalier de Raug^y fit preuve en cette circonstance. Cavelier de la Salle, arrivé en France, n'eut pas de peine à se défendre; la cour l'accueillit avec faveur et le roi le remit immédiatement en possession des forts dont le gouverneur général Pavait injustement dépossédé. Quand le fort de Catarocouy ou de Fron- tenac lui fut rendu, M. de la Barre n'y avait laissé pour garnison qu'un garçon de cuisine et un ber- ger (4) ! Cavelier de la Salle nomma au gouverne- ment du fort Saint-Louis le chevalier de Tont\^, auquel le roi venait de confier une compagnie d'un (i) P. Margry. Mém. et doc. II. p. 338. — Le fait y est rapporté avec détails. (2) Charlevoix. Hist. gén. I, p. 4S6. — P. Mar^y. Mém. et do:. Relation de Heury de Tonty, I, p. 612 et suiv. {3- P. Margry. Mém. et doc. II, p. 344. (4) P. Margry. Mém. 4t. doc. III, p. 30. . . — 4^ — (iétarhement de la marine. M. de 'l'onty partit Tan- née même (1684) pour set rendre à son poste; mais les glaces lui barrèrent le chemin ; il relâcha à Qué- bec et ne rentra au fort Saint-Louis que le 26 juin 1685. M. de Baug-y lui en remit le commandement à cette date, ainsi qu'on peut le voir par le document publié plus loin (i). La tentative des Iroquois contre le fort vSaint-Louis fit enfin comprendre à M. de la Barre qu'il devait aller les attaquer chez eux. Il s'y résolut, et pour ren- forcer ses troupes il s'adjoig-nit des sauvag^es alliés que MM. de la Durantayes et du Luth décidèrent avec peine à se trouver, le 15 août, en même temps que les Français, à Niag-ara(2). Quel ne fut pas leur désappointement quand, en arrivant au lieu du rendez- vous, ils n'y rencontrèrent pas IM. de la Barre! Le g-ouverneur s'était bien m.is en marche pour g-ag^ner Niagara avec sept cents Canadiens, cent trente sol- dats et deux cents sauvages ; mais il avait rencontré, chemin faisant, les Sonnoptonnans qu'on allait atta- quer. Leurs dispositions pacifiques aussi bien que Fétat déplorable de ses troupes l'avaient décidé à saisir cette occasion de terminer une expédition qui paraissait de\oir tourner à notre confusion. Malgré !es prétentions arrogantes du député sonnontonnan, qui refusa de s'engager à laisser en repos les Illinois, nos alliés, et qui consentit seulement à respecter les Français, la paix dite de l'Anse de la Famine (3) avait été conclue. Sur ces entrefaites arrivèrent de France quelques (i) Voir aux pièces. ;. i>>; (2) Charlevoix. Hist. gén. I, p. 487. (3) Charlevoix. Hist. gcn. I, p. 492. — 44 — troupes commandées par MM. de Montortier et Des- nots, capitaines de vaisseau. Ils avaient ordre d'oc- cuper les postes les plus importants et, peut-être, de surveiller M. de la Barre, que son grand âg-e ren- dait peu apte à diriger utilement une expédition sé- rieuse. Les Iroquois, qui avaient compris notre impuissance, songèrent bientôt à reprendre les hostilités. Dès le mois de juillet le P. de Lamberville, missionnaire à Onnontagué, informa le gouverneur de la Nouvelle- France que les cinq cantons s'étaient ligués pour nous combattre et se tenaient prêts à entrer en campagne. Heureusement, M. de la Barre, dont Tâge et la santé excusaient la faiblesse, avait été remplacé par le marquis de Denonville, colonel de dragons, également estimable par sa valeur, sa droiture et sa piété (i). A peine débarqué, M. de Denonville vit que la guerre était imminente ; il s'y prépara ardemment, et se hâta d'approvisionner Catarocouy malgré la protestation des Anglais, qui revendiquaient les Iro- (juois pour leurs sujets et les excitaient contre nous. M. de Denonville répondit à cette prétention des Anglais par la prise des forts de Sainte-Thérèse, de Monsipi, de Rupert et de Quitchitchouen, où MM. de Troye, de Sainte-Hélène, dlberville et Mancourt se distinguèrent par leur habileté et leur bravoure (2). Enfin le gouvernement français nous fit connaître au printemps suivant, (1687) qu'un traité de neutralité venait d'être signé entre les deux piiisvsances. (1) Charlevoix. Hist.gén. I, p. 496. (2) Charlevoix. Hist.gén. I, p. 505, 507. — 45 — Enmèint," temps, M. deDenunville a\ ait ifçudii reii- lort. II pouvait mettrt- sur pied deux mille l'rançais et six cents sauvag^es. Tout était prêt, quand il pré- luda par un acte de violence assez inexplicable. Il attira à Catarocouy les principaux chefs iroquois, les fit prisonniers et les envoya à Québec pour de là s'en aller ramer sur les galères du roi. Avec de pareils ennemis si fourbes et d'une mauvaise foi si souvent éprouvée, c'était peut-être de bonne g-uerre; mais cette action contraire à nos habitudes chevaleresques et à nos intérêts paraît d'autant plus fâcheuse qu'on se servit, à leur insu, des missionnaires, les PP. de I .amberville et Millet, nos plus précieux auxiliaires parmi les peuplades sauvages, et qu'on exposa leur vie inutilement. Ils échappèrent par miracle au sort qui les attendait. D'après le plan de campagne du gouverneur, les troupes se trouvaient ainsi disposées : le chevalier de Tonty se rendrait chez les Illinois et emmènerait avec lui, dans le voisinage des Sonnontonnans, du côté des Andastes et de l'Ohio, tous ceux des sauvages qu'il pourrait décider à le suivre; il devait se trou- ver là au mois de juin 1687; m^-is quatre vingts Illi- nois seulement l'accompagnèrent; il jugea donc plus utile d'aller à M. du Luth, qui, avec les sauvages des environs de la Baye, avait ordre de se retrancher à la tête du détroit du côté du lac Huron. Mi\I. Bois- guillot et Perrot gagnèrent Michillimakinac avec leurs Français, afm de se joindre à M. de laDurantayes qui y commandait et qui les conduirait avec ses pro- pres troupes jusqu'à Niagara. La petite armée du marquis de Denonville se con- centra à l'île Sainte-Hélène, en face de Montréal, le - 46- 7 juin 1687, ^^1 1^ 1^1 tous s'embarquèrent sur deux cents bateaux et autant de canots sauvages. \^ç^ Journal éç^ M. de Baug-y nous dira en détail les événements de cette campagne. n JOURNAL ?\ ^m$F JOURNAL dîf voyage de Monsieur le Marqitïs de D e non- ville pour la guerre contre les Hyroquois y de l'année îôSy le jj"" inay. « Comme le journal que je commance n'est que pour écrire la marche que nous deuons faire, et la manière dont l'on doit agir pen- dant cette campagne^ pour abatre la fierté des Hyroquois à qui l'on déclare la guerre ; je juge à propos, auant de commancer, de dire un mot de cette nation, qui passe dans les esprits de ceux qui ont cônoissance du Canada pour la plus méchante qui y soit : «Sous ce nom d'Hyroquois (i), l'on y en- (i) Les principales nations sauvages qui habitent encore le Bas Canada sont les Iroquois, les Algonkins, les Abe- nakis, les Nipissing-ues, les Hurons, les Micmacs et les tend cinq nations, qui ont chacune un nom, ou, pour mieux dire, cinq gros villages, qui sont encore diuisez en d'autres ; ils se nomment Onontagues, Anyeis, Onejoust, Gorogoras, et Sonontonces. <( Il y a 22 ans que Mr de Tracy et Mr de Courcelle , gouuerneurs du pays, eurent affai- re aux Onontagues et Aniers, qui donnèrent beaucoup de peine dans tous les commance- ments à l'établissement de la colonie; ayant esté vn peu matez par 2 ou 3 marches que ces Mrs firent chez eux, ils demandèrent la paix, laquelle ils ont toujours bien tenue, estant à naistre qu'ils ayent tué aucun françois ; cepen- dant depuis 5 ou 6 ans les Senontonans, appel- iez par les autres les paysans^ pour n'auoir jamais eu affaire à nous, s'estans fortifiez par la grande quantité d'esclaues qu'ils ont fait tant sur les saunages nos alliez que sur d'au- tres nations éloignées, ont voulu remuer, brauant en tous lieux nos françois par milles algarades malgré les promesses que les Montagnais. Les Iroquois sont réunis en vàllag-e au Sault- Saint-Louis et à Saint-Régis, sur la frontière des Etats- Unis ; les Algonquins avec des Iroquois et les Nipissingues, au Lac des Deux-Montagnes; etc., etc. Voyez Ch. de Bon- nechose, Moncalm et le Canada Français^ p. 208. — ^1 — Orealleards t'aisoient en Tair, tuant nos alliez où ils les pouuoicnt rencontrer , ne croyans pas que nous soyons capables d'aller jamais chez eux, veu les difficultez qu'il y a à surmonter, ce qui ce verra à mesure que nous agirons. Après auoir fait voir la nécessité indispensable de les aller uisiter, nos sauuages se moquans ouuertement de nous, disans que nous n'osions leur rien dire par la crainte que nous auons d'eux, c'est ce qui a fait déter- miner Mr le Marquis, comme je feray uoir cy après, de marcher tout de bon et en dili- g-eance à eux, pour montrer à nos alliez que les françois estoient toujours maistres, et qu'il n'y auoit point de difficultez pour grandes qu'elles fussent qu'ils ne surmontassent pour venir à bout de leurs entreprises. « Si ce n'estoit que je ne veux point sortir démon dessein, je dirois un mot des Hyro- quois, qui, à la vérité, sont fort cruels, n'y ayant point de tourments qu'ils ne fassent souffrir pour se contenter ; toutefois, ils en usent beaucoup mieux que nos sauuages, assistant fort généreusement de viures nos françois qu'ils rencontrent dans les bois sans aucune prétention ; ne manquans pas tant à leur parole, il est à naistre que depuis la paix ils ayent tué un de nos françois, et parmy nos alliez dans toutes les nations, nous en auons perdu, ayans esté assassinez pour auoir leurs marchandises ; si ce n'estoit la fierté que le Sonontoûan se donne depuis quelques années, Ton n auroit point songé à luy ; se trouuans fort nombreux, ils se croyent en estât de brauer toute la terre. C'est assez sortir de mon discours ; il est tems de le re- prendre. « La guerre ayant donc esté résolue contre M'^ les Hyroquois depuis quelque tems pour auoir manqué à leur parole, dans plusieurs rencontres, tuant les saunages nos alliez qui sont sous la protection françoise, pillants aussi nos canots qui vont en traite en leurs pays, M^' le Marquis de Denonville (i) devenu Gouuerneur de toute la Nouuelle-France, l'an 1685, sur ce qu'il a appris d'eux, s'est pré- paré à leur déclarer la guerre afin de les ran- ofer à leur deuoir. <( Pour cet effet il ordonna la construction (i) Jacques René de Brisay, marquis de Denonville^ colonel de drag-ons « ég-alement estimable par sa valeur, sa droiture et sa piété » (Charlevoix, Hist. Gén., t. I, p. 496), gouverneur et lieutenant-général du Canada, en remplacement de M. Lefebvre de la Barre. D'après Char- levoix il avait été nommé en 1684. de 200 batcnux plits pour auoir plus de facilité à les aller visiter bien munissionnez; Tout ayant esté bien préparé par la dilior-eance de M»" de C'hampiîrnv' (i) notre intendant, (jui a, par son exactitude fait trouver toutes choses en i)on estât, sur lequel M^ le Marquis s'estoit entièrement reposé pour un dessein si épi- neux. Tl a crii ne pouuoir mieux commancer un si grand ouvrage c^u'en s'adressant à Dieu, qui seul est le maistre de toutes choses ; les prières de 40 heures ont esté faites, pour ce sujet, dons la grande église de Québec les trois festes de la Pentecoste ; après quoy, ne voulant rien obmettre, il s'adressa a la Sainte- Vierge pour la prier d'intercéder pour nous auprès de son fils, afin de le faire reconnoistre dans un lieu, ou malgré les Missionnaires qui y ont esté fort longtemps, il est fort mal ser- vy. C'est ce qui le fit partir le 22 may, au matin, après avoir ordonné à ses canots de le suiure pour se rendre sur terre àNostre-Dame de TEtvisse, distante de 3 lieues de Kebec, afin d'y entendre la Sainte-Messe, pcvr luy demander son assistance ; l'après disnée, m.al- gré le vent. Madame la marquise, qui veut (i| M. de Ckampigiiy Noyoi avait succédé, en 1086, à M. de Meules dans l'Intendance de la Nouvelle-France, — 54 — raccompagner jusqu'au Montreuille (i) pour estre plus prosche de nouvelles, partit comme la marée et le vent estoient favorables ; nous fusmes bientost arriuez chez Villeneuue a 4 lieues de Kebec ou Mons^' le Marquis nous at- tendoit ; le départ des troupes et de la milice d'autour ne se doit faire que le 26 de may. M^ l'Intendant et M^" le Prévost de Kebec res- tez pour les faire partir, mon dit Seigneur Marquis a pris le deuant afin qu'a leur arriuée au Montréal tout fut en estât de marcher, fai- sant préparer partout ou il passa selon les ordres qui ont esté enuoyez cy deuant, tant les soldats, que les habitans qui doiuent ser- vir cette campagne. Sur le soir nous auons eu auis par un canot qui reuenoit du fort que le chef des Goiogoins (i) auec les autres de sa nation ve- noient, M', le Marquis a detasché M. de Lou- vigny (2) et laide major des troupes auec M. Sivret habil pour ses fsi'cj affaires afin de tascher de le surprendre et de l'arrester pri- sonnier auec ses gens. (( M'. l'Intendant qui vient au fort de Cata- racouy a pris aujourd'huy le deuant auec les canots qui voiturent au cent pour s'y rendre le plustôt qu'il pourra afin de mettre toutes choses en estât pour nous empescher d'y estre longtemps et s'en retourner; pourueu que ceux qui ont les affaires de la Colonie ne luy manquent pas en l'absence de M'", le Marquis. « L'ordre est donné pour partir demain au 1^1) Canton Iroquois. (2) M. de la Porte Louvigny, capitaine, puis gouver- neur des Trois-Rivières périt en 1 725 dans le naufrage du - 66 - matin, continuant nostre route auec toute la diligeance et exactitude possible. « Le 17 nous sommes venus aux Cèdres, que nous auons monté auec une grande peine ; il a fallu descharger presque tout pour pou- uoir passer à cause des roulins prodigieux qui emplissent ; c'est quelque chose d'étonnant que de voir comme l'on est ; le rapide estant meschant quelque fois l'on est obligé de per- dre pied pour pousser son bateau au large. Il n'arriua toutefois aucun accident sinon à un des batteaux de M', le Marquis qui en fut quitte pour quelques poix molles et du sucre perdu. Ses soins et la peine qu'il prend dans tous ces endroits facilitent beaucoup le pas- sage, ne quittant point la place qu'il n'ait vu tout passer, et excitant les soldats et habitans à prendre courage, compatissant à leurs peines. « Nous montasmes cemesme jour les poin- tes et courans durant 3 quarts de lieues ; ce sont les plus vistes de toutte la rivière, il y eut trois batteaux de nos trouppes qui empli- rent, c'est bon marché ny ayant eu que du biscuit de mouillé. « Le 1 8 nous sommes venus au costeau du Lac qui est à 3 lieues du costeau des Cèdres, — 67 — OU nous trouvâmes les sauvai^-es qui nous auoient préparc un chemin pour passer les batteaux et fallut tout descharg-er et passer par dessus des arbres qui estoient coupez dans le chemin du passag-e ; la milice et quelques batteaux de nos troupes passèrent leurs bat- teaux après auoir tout deschargé ; il y eut un bataillon qui passa au pied sans faire portage ; c'est une cheute comme une montagne au bord, on ne peut y monter chargé, quand les eaux sont hautes il n'est pas si difficile ; nous vînmes camper à une demi lieue au dessous du costeau. « Le 1 9 ( I ) la pluye qui nous a rendu toujours visite, malgré quoy que je n'en aye encore pas parlé, nous empescha de partir d'aussi bonne heure que nous aurions souhaité. Ayant discontinué nous nous sommes mis en chemins et auons entré dans le lac Saint-Fran- çois qui a 7 lieues de long et de 2 de large nous sommes venus camper a la pointe à Baudet qui est 3 lieues dans le lac. <( Le 20 (2) la pluye nous a encore un peu détourné de nostre route; ayant vn peu di- minué, nous sommes partis d'un bon vent de (i) Voir les Ordres de marche. (2) Voir les Ordres de marche. — 68 — nord-est qui a fait paroistre plus de 300 voiles sur le lac. « J 'oubli ois de dire que le 19 au soir le sieur Sivret reconut encore 4 Hiroquois, 4 femmes et 2 petits g-arçons ; 2 de ces hommes sont fort considérables, un est ce chef des Goro- gouins que Ton auoit enuoyé chercher, qui s'appelle Onarionac qui a souvent maltraité le reuerend père Carel (i) estant en mission dans son village. Ce fut vn plaisir de voir la réception que leur firent nos sauuages estant à terre ; ils virent tuer un de leurs chiens dont les nostres firent festin (2), pendant lequel (i) Le R. P. de Carheil. En 1668, Garakonthie, dont nous avons parlé, se rendit à Québec et en ramena les PP. de Carheil et Millet qui leur furent accordés comme missionnaires ; mais les Onneyouts qui avaient paru d'abord si bien disposés, résistèrent presque tous à ses efforts apostoliques. C'était un relig-ieux d'une g-rande vertu. « Il avoit, dit Charlevoix, sacrifié les plus grands talents qui puissent faire honneur à un homme de sa profession ; et dans l'espérance d'un sort pareil à celui de plusieurs de ses frères, qui avoient arrosé le Canada de leur sang, il avoit fait une espèce de violence à ses supérieurs pour obtenir une mission, dont l'obscurité le mît à l'abri de toute ambition et ne lui présentât que des croix. Il y a tra- vaillé infatigablement pendant plus de soixante ans : il parloit les langues huronne et iroquoise avec autant de fa- cilité et d'élégance et que sa langue naturelle. Les François et les sauvages s'accordoient à le regarder comme un saint et un génie de premier ordre. » (Charlevoix, Hist. gén., t. I, p. 404.) (2) La chair du chien était un mets très apprécié par les Sauvages. — (K) — nos prisonniers ne perdant rien de leur fierté ordinnaire entonnèrent auec chaleur leur chanson de mort sans paroistre beaucoup émeus, disant hautement que pour eux ils estoient vieux, qu'ils ne se soucioient pas de mourir, enfin d'une résolution très g-rande ils nous reg-ardoient ; cela n'estonne point, cest leur coutume d'agir de la sorte. Ils partirent le 20 au matin auec huit François que le sieur Sivret auoit rencontré qui luy auoient aydé à les amener pour le Montréal; ils nous mena- cèrent du Sonontonan et de leur jeunesse qui veno^eroient leur mort ; il croiroient nestre pas hommes s'ils se plaig-noient. Nous auons acheué de passer le lac, et auons resté dans les isles(i), ou il a fallu camper malgré nous à cause de la pluye qui vint auec violence sur le midy. « Le 2 1 nous auons décampé pour tascher de gagner le pied du long sault (2) ; il y eut trois bataillons qui y arriuerent ; les autres campè- rent au pied des petits chenaceaux à cause de la grande pluye qui suruint, laquelle nous fait craindre pour nos viures que l'on a bien (i) Les Iles aux têtes. (2) Rapide d'une demi-lieue de long' que les canots ne peuvent remonter qu'à demi charge. — 70 — de la peine à conseruer pour un si long voyage auec l'ambarras dans lequel on est, nous ayant tenu toujours fidelle compagnie, jusques à présent. <( Le 2 2 au matin les 3 bataillons montèrent le long sault et les 5 autres vinrent, dont il y en eut 3 qui le passèrent et ne fut pas sans peine puisque 5 batteaux emb ardèrent. Il est plus fascheux par sa longueur qu'autrement ; au large, les courans sont épouvantables, mais loin de terre Ton passe en prenant garde à soy. « Il y eut vn malheureux soldat, qui, après l'auoir bien monté, estant à terre sur la corde de son batteau pour doubler une pointe un peu difficile, se noya; il y eut quelques autres batteaux dans le long sault qui coururent grand risque ; nous sommes quittes de tous ces meschants pas à bon marché, je croyais qu'il nous en coùteroit dauantage ; la vigi- lance de M' . le Marquis à se tenir tantost d'un costé tantost de l'autre selon les nécessitez nous a porté ce bonheur; la peine qu'il se donne est incroyable, la pluye ne luy fait pas quitter la partie, et la compassion qu'il a de voir pàtir le soldat luy donne plus de cha- grin que la fatigue qu'il prend ; nous sommes venus canipcr à vne demy lieiie au dessoux du long- sault. <.{ Le 23 au matin, les 2 bataillons qui res- toient à monter, ont fort bien passé auec l'aide des sauuages ; nous auons resté toute la jour- née à nostre camp pour faire calfeutrer nos batteaux, délasser nos soldats et faire seicher les viures. « Sur ces entrefaites nous auonsveu2Eco- nots de François, qui auoient pris en passant à la Gallette (i) un Gojogoin, 4 femmes et un enfant. C'est M'", de Boucherville qui a fait cette capture en menant un conuoy au fort. Il y a parmy nous le camarade de ce Gojo- goin que l'on fait obseruer de peur qu'il ne s'eschappe. Sur le soir nous auons eu encore un canot enuoyé par M'". l'Intendant de To- niata (2), pour nous donner auis qu'il y auoit là plusieurs Hyroquois qui peschoient ; de plus, que le bruit courroit que les Meamis(3), (i) La Galette est à une demi-lieue plus haut que les Galots dont il va être question; M. de Baugy a dû se tromper dans son énumération ; car en remontant le fleuve à cet endroit on remonte d'abord le Long saiclt, puis à sept lieues au-delà le Rapide plat, et enfin le dernier des rapides le Galot, qui se trouve à cinq lieues en amont du Rapide plat. (2) Toniata est une île du fleuve Saint-Laurent située à une petite journée en deçà de Cataracouy. (3). En 1671, les Méamis étaient établis à Chicag^ou à ou Tageamis et autres sauvages d'en haut donnoient fort et ferme sur le Sonontonan notre véritable ennemy, et que les considéra- bles deliberoient s'ils deuoient venir au fort de Cataracouy, rendez vous des Hyroquois dont je parleray cy après, et en feray la des- cription. La première nouvelle fit detascher le sieur Saint-Helene (i), auec des Hyroquois baptisez; Sivret et Arestel, auec leurs Alion- gins et Abonaches pour les aller surprendre les vns d'un costé les autres de l'autre. « L'on destacha les Yroquois pour les pi- quer d'honneur et pour voir s'ils effectue- roient ce qu'ils ont promis. La journée n'ayant pas esté commode l'on ne put recalfuter tous les batteaux. « Le 24 nous ne partismes qu'à 10 ou 1 1 heures à cause de cela auec 4 bataillons qui estoient prests. Nous fismes 3 lieues, le beau temps nous est venu voir, pourueu qu'il continue nayant pas plu de la journée : Les l'extrémité sud du Lac Michîgan. Le grand chef s'appe- lait Tetinckoî^a. (i) Leïnoyne de Sainte-Hélène. En mars 1686 il avait fait partie de l'expédition de la Baye d'Hudson contre les Anglais, avec le chevalier de Troye qui, ainsi que nous l'avons dit plus haut s'empara du fort de Monsipi pendant que lui-même prenait d'assaut le fort Rupert. — 73 — 4 autres bataillons n'ont pu venir à nostre camp estans partis trop tard ; comme ccst la milice on en est pas embarrassé parcequ'ils feront mieux que nos troupes; M. de Calière est resté auec eux pour les presser. « Le 25 dès le matin nous auons décampé et sommes venus au rapide plat (i) que nous auons passé, qui est beau auprès des autres; nous y auons pourtant perdu un soldat (]ui se noya pour vouloir par trop résister contre le courant, le batteau qu'il tiroit s'estant em- bardé et n'a^^ant pas lâché la corde comme ses camarades. Nous sommes venus camper à vne g-rande lieue au dessous du rapide plat et auons bien fait 5 lieues cette journée; les 4 bataillons qui ont resté derrière ont eu peine à monter le rapide ; la nuit les ayant surpris dedans, ils campèrent à 3 quarts de lieues de nous ; comme ils brisèrent quelques batteaux cela les retarda. « Sur le soir nous eusmes des nouvelles de M'". l'Intendant qui nous aprirent que les sau- vag^es que l'on alloit chercher deuoient estre à Cataracouy y ayant esté inuitez par des présens; ils n'y estoient pas encore, mais ils (i) Vide snpra. — 74 — se mettoient en chemin pour s'y rendre, ce qui a fait écrire M', le Marquis à ceux qu'il auoit commandez de se rendre toujours aux lieux ou ils deuoient aller pour remarquer s'il n'y auoit rien à faire et se saisir de ceux qu'ils pourroient rencontrer et qui n'auroient pas esté au rendez vous, auec ordre de ne point faire de mal au fils de la Grande Gueule ( i ) qui est chef des Onontagues. Nous aprismes que le R P. Lamberuille (2), missionnaire, n'estoit point encore de retour, qu'on l'atten- doit tous les jours^ que Ton s'estoit saisi des Hyroquois qui estoient au fort, auxquels on ne fit pas grand mal y ayant longtems qu'ils y sont établis ; on s'asseure seulement d"eux pour les empescher d'auertir leur nation de notre arriuée ; ainsi il a fait repartir le canot porteur de la nouuelle pour les en auertir et de ne se point allarmer. ^< Le mesme soir il est arriué un canot de- vers le Montréal qui nous a donné auis que 2 canots hemiscomins nous venoient voir (i) D'après le P. de Charlevoix, celui que les Français avaient appelé la Grand' Gnetile était capitaine sonnon- tonnan et se nommait Haaskottaun. (2) Le P. Jean de Lamberville, jésuite, envoyé en mis- sion à Onnontaqué par M. de Dénonville. Il était très aimé des Iroquois; son frère Jacques de Lamberville était aussi missionnaire dans le même canton. pour auoir leur part du g-asteau, ce sont des Maing"ans(i) qui nous le dirent et augmentè- rent aussi notre troupe. <( Le 26, nous auons passé les Galots (2), et sommes venus camper à un (juart de lieiie de la Galette (3) ; nous auons fait près de 5 lieues, les rapides sont passez et nous som- mes à présent en grande eau ; ce lieu est nom- mé la Galette sur ce qu'il y a enuiron 12 ou 1 3 ans que Ton vouloit construire un fort pour y tenir un magasin pour l'entretien de la gar- nison de Cataracouy. « Les 4 bataillons restez derrière ne peu- vent nous joindre, à cause de la grande jour- née d'hier et que leurs batteaux sont rompus. « Mons''. de Saint-Helene qui nous a attendu icy a tesmoigné que les Hirocois restoient peu faschez dauoir apris que leurs gens qu'ils deuoient prendre se rendoienî au fort parce ^i) Les Maliîngins, sauvag^es du Canada connus aussi sous le nom de Loitps étaient établis le long" de la ri- vière de ce nom. En 1662, ils avaient fait la g-uerre aux Agniers avec le conoours des nations abenaquises ; mais en 168.}. ils s'étaient joints aux Iroquois sonnontonans pour nous combattre. En 1687 de concert avec les Agniers ils assiégèrent vainement le fort de Chambly, à l'instigation du colonel Dongan, gouverneur de la Nouvelle- York. (Charlevoix, Hist. gén., t. I, p. 354, 495, 523). (2) Les Galots, vide sîipra. (3) La Galette, vide Sîipnx. que cela leur auroit fait de la peine de les prendre, ce qui fait connoîstre qu'ils n'auront à faire qu'à ceux ou ils sont, et non point aux Sonontonans. « vSur le soir, il y a eu un soldat de blessé d'vn coup de fusil et vn autre aussi blessé qui est mort. « Le 27 (i) nous auons attendu nos 4 batail- lons qui arriuèrent sur les 8 ou 9 heures du matin, après quoy l'on fit accommoder les batteaux afin de pouuoir aller jusqu'au fort sans s'arrester; de plus, le vent de sud-ouest nous empesclioit de marscher. « Surlemidy, M', le lieutenant arriua qui venoit de régler toutes choses, qui nous as- sura de la prise de tous les sauuages qui es- toient dans ces quartiers, comme la garnison n'estoit pas assez forte pour le faire de haute lutte, on les conuia à un festin pour cet effet, on les fit tous entrer dans le fort ou ils furent arrestez (2). Comme il vit que le fort en estoit remply, qu'ils pouuoient estre plus forts que la garnison, et que cela faisoit discontinuer les trauaux, on destascha 100 hommes de la milice dans 12 batteaux, vn bataillon de Mont- ( I ) Voir les Ordres de marche. (2) Charlevoix, t. I, — et supra Introductioti. real conduit par MM". Long-ueuil et Saint- Paul afin de les soulager en cas de besoin et ordre à eux de faire diligence ; ils arriuerent le 29. au soir. a Les batteaux accommodez et le vent ayant esté bon, nous sommes partis sur le soir à vne heure du soleil pour marscher toute la nuit, qui nous ayant este favorable sur le frais nous a auancés de 8 bonnes lieues, et nous sommes venus camper sur les 5 ou 6 heures du matin le 28 a 2 heures de levée a Garoron à cause d'vn orag^e qui se leua, et nous donna de la pluie toute la journée qui nous empescha de marscher. « Le 29 au matin, nous auons décampé et avons fait encore 8 bonnes lieues. Comme nous venions de camper nous vismes arriuer un canot qui apporta bien de la joyc partout le camp à cause du P. de Lamberuille, dont on est oit en peine qui estoit dedans. « Il nous dit que les Hirocois sauoient notre marsche et larrivée de nos trouppes, ce qu'ils avoient apris des Anglois. Il nous as- sura que les 4 premiers Onontagues et le chef des Gorogoins qui auoient este pris n'estoient venus que pour nous épier ; ce qui est positif, est que Ion trouua dans le sac du chef Goro- - 78 - goin un lien qu'ils ne portent auec eux que pour faire des prisonniers. Il dit encore quelq. autr. nouvelles touschant la grande Geule, chef des Onontagues et autres hiroquois. « Le 30 dès le matin M^ le Marquis prit le deuant auec tous ses canots et donna ordre à sa petite armée de le suiùre le plustot quelle pourroit ; nous sommes arriuez sur les 1 1 heu- res du matin au fort de Cataracouy . Ce que ne pût faire nostre corps à cause du sud ouest qui s'est leué et les a fait camper à vne demi lieue du fort. <( Le i'"" (i) juillet elle arriua dès le matin. « Comme je suis au fort auant de passer outre, je diray icy un mot du commencement de son établissement. « C'est M', le comte de Frontenac (2) qui en a commencé le dessein il y a 14 ans, et quelque tems après il fit auoir le gouverne- ment au sieur de la Salle, moyennant quoy, il s'obligea d'y maintenir une garnison pour résister à l'hyroquois ; pour cet effet on luy donna la traite de tout le lac en propre, et il donnoit des concessions à ceux qui vouloient (i) Voir les Ordres de maî'che. (2) M. de Courcelles avait eu le premier ce projet; mais, étant retourné en France en 1672, il ne put y donner suite. Voir V Introduction^ p. 37. — 70 - demeurer autour du fort. Il y a eu 7 ou 8 ha- bitans qui ont commencé à cultiuer la terre, qui ont tout quitté depuis quelques années. Il voulut d'abord faire un g-rand fort ; ses des- seins auortèrent faute d'arg-ent, ou parce qu'il n'y trouuoit pas son compte; ainsi il ne put acheuer ce qu'il auoit commencé. Depuis, M\ de la Barre, successeur de M'", le Comte, croyant que les hyroquois vouloient faire les maistres, prit la résolution d'y faire fortifier et d'y mettre une bonne g-arnison, ce qui n'a pourtant pas esté exécuté de son temps ; on se contenta de deux méchantes redoutes de pierre sur pierre en attendant la réponse que sa Majesté feroit touschant sa volonté, laquelle ayant fait connoistre à M'", le Marquis notre gouverneur d'aprésent, il s'y transporta l'an- née mesme qu'il fut arriué de France pour voir s'il estoit aussy nécessaire que Ton l'auoit fait à la Cour; et en ayant connu l'impor- tance dès l'année passée il y fit trauailler voyant que c'estoit vne nécessité de g-arder ce poste pour y tenir des magazins en cas d'a- larme. Comme il auoit esté dessiné pour vn quarré, on le laissa de mesme ; les 2 bastions de deuant ne sont pas encore acheuez; l'on fait dedans deux belles tours, l'une pour ma- — 8o — gazin à pouldre et à farine, et l'autre pour des tours ; on les élèue afin de pouvoir decouurir les barques qui sont dans le bassin. Sous le fusil du fort, il y en a 3 dont 2 ont esté cons- truites par M. de la Salle et l'autre par M. de la Barre. Quand le fort sera acheué, qui sera très prochain, il sera fort bon pour le pays, et hors d'insultes des hyroquois. Nous y auons trouué en arrivant 130 saunages esclaues, qui ont esté pris aux enuirons, tant hommes, femmes, qu'enfants. On tasche de tout dili- genterpour que nous ne séjournions pas long- temps. <( L'on a, à l'arriuée de M' . l'Intendant, en- noyé une barque chargée de rafraischisse- ments à Niagarra, pour les françois et sauna- ges qui deuoient venir de ce costé là pour se joindre à nous à la rivière de Sonnontonan. Ils sont conduits par MM. La Durantaye, Tonty et d'aultres. M'", le Marquis a fait relascher le fils de la grande Gueule pour luy marquer qu'il ne manque pas à sa parole, estant venus pour ce qu'il leur auoit mandé. « Le fort de Cataracouy est posté sur le bord du lac Ontario, qui a 300 lieues de tour sur vne pointe qui fournit un beau bassin pour mettre les barques à couuert de tout vent; — Si — tout y est iroLiLic en bon estât par la vi^^ihmcc de Ml" Doruilliers qui y commande depuis deux ans. « D'abord que les troupes ont esté arriuées on en a fait une revue exacte pour assurer de fournir les uiures nécessaires pour deux mois que nous prétendons encore estre en campa- gne et aussi pour sauoir au vray combien il y auoit d'hommes qui fussent en estât de mar- cher. L'on eut quelque chagrin sur le fait des viures estant beaucoup diminués depuis le Montréal ; et les autres ne s'estans pas chargés comme on leur auoit dit, ce qui fit que M^ le commissaire , auec une personne que M^" le Marquis luy enuoya, travailla pour voir com- bien il lui en falloit ce qui montoit à une grande quantité de plus qu'on ne croyoit auec les mesures que l'on auoit prises au Montréal. Comme il fut tiré un exact estât, par ordre de M^ le Marquis, de tout le monde qu'il auoit, et de la quantité de canots et batteaux à sa suite je trouve à propos de le mettre cy après afin de faire connoistre le monde qui l'accom- pagnoit. i2 — (( Liste ge7ierale des ofjidei^s, soldais, habi- tans, sauvages, canots et bateaux qui sont auec Monsieur le Marquis pour son expédition. Monsieur le marquis i" Sa maison M'' de Calière Sa maison M"^ de Vaudreuille Ses canotiers Pour les Trouppes . Le bataillon de M^" Doruilliers.' Sa compagnie 46 M' des Closches 44 M»" Marin 43 M"" Dumesnil (i) 43 Batailllon de M^' St-Cirque (2). Sa compagnie 42 Celle de Rompre 42 Canots Bateaux 36 5 2 I 9 3 0 I 4. I 5 6 6 6 6 6 (i) Du Mesnil. (Charlevoix, t. II, p. 169.) (2) De Saint-Cirq. (Leclercq, t. II, p. 436. Premier éta- blissement de la foi dans la Nouvelle-France .) - «.^ Canots Bateaux Celle de Muy (i) 42 I 6 Celle de l'Evemier 42 0 6 itaillon de M'" de Trois. vSa compagnie 41 2 5 Celle de M' de Crosny 44 I 6 Celle du marquis 46 I 6 Celle de Rancé 44 I 6 Officiers de 8 compagnies 23 Itaillon de Valerenne. Sa compagnie 47 T 6 Celle de Cherac 45 2 6 Celle de Meuloye 44 I 6 Des bergères 44 2 6 Officiers du batail. 1 1 M'' Louvigny major I Les canoteurs 2 I Aumosniers 8 Leurs gens 12 5 Les volontaires et canotiers 20 5 (i) De Muys était capitaine en 1691 ; il devint major (ies troupes en Canada et venait d'être nommé gfouverneur de la Louisiane quand la mort le surprit. 84 Canots Bateaux L'ingénieur et ses canotiers 3 i Chirurgien major i i Total. 843 42 96 Pour la fitilice. Hommes Canots Batteaux M^' Dugué I I Ses canoteurs 311 Bataillon de M^ Berthier. Sa compagnie 39 26 CelledeVerchere(i)5o 6 Celle du Gardeur 43 16 Celle de Beaumont 49 16 Officiers 8 Bataillon de la Valterie. Sa compagnie 45 6 Celle de Sueue 41 i 6 Celle de Vieux Pont 44 i 6 (i) Officier de grande espérance tué dans l'expédition d'Hewreuil en 1708. (Charlevoix, t. II, p. 327.) _ 85 - Celle de Repen- tigny(i) 36 Officiers 8 Bataillon de Lona-ueuil. Canots Batteaux Sa compagnie 5^ 2 6 Celle de Saint-Paul 50 I 6 Celle de Ste-Helene 50 2 6 Celle de Duomesnil 44 2 6 Celle de la Perte (2) 58 I 8 Celle de Chenay 52 I 6 M. Dupuis major (3) I Ses canotiers 2 I Calfateurs 6 2 Officiers de 12 ba- taillons 17 Total. 804 21 100(4) ( I ) De Tilly Le Gardeiir de Repenti gny, g-entilhorame normand, capitaine dans le régiment de Carignan-Sa- lières. (2) Charlev^oix. T. I, p. 554. (3) Un officier français de ce nom, avait conduit en 1659 une colonie française à Onontagué, mais dès l'année sui- vante il avait été obligé de se retirer clandestinement. (Charlevoix, Hîst. gén., t. I, p. 337-38. — P. Waxgxy ^ Mém. et doc. ^ t. I, p. 39.) (4) Il doit y avoir erreur ou omission dans le manuscrit. car ces chiffres additionnés donnent 607, 20, 88. H6 Pour les Sainiagcs. H. C. B. La bande de la mon- tagne 50 10 o Celle de Sault 170 32 La bande de Sillery(i) 76 20 La bande d'Arhetil 57 17 Total des Sauvages. 353 79 Total des François 1647 63 196 « Il y auoit de plus 12 (2) grands batteaux de chesnes construits au fort pour y mettre vne petite pièce de canon dans chascun auec 15 hommes par batteau, de troupe et habi- tans pour estre à l'auant garde. « Le nombre des françois compris avec les sauuages font ensemble Hommes Canots Bateaux 2,000 142 198 qui ont marché pour la guerre. C'est le plus (1) En 1637, s'était élevé à quatre milles de Québec sur la rive g-auche du fleuve Saint-Laurent un établissement pour les Sauvagfes chrétiens qui fut appelé la bourgade de Sillery. (2) Il y a ici une erreur matérielle; il faut lire 2 et non 12, puisque le nombre total des bateaux était 198(196-1-2). - 87 - juste estât cjue j'en aye pu tirer selon tous les mémoires que j'ay veu. « Le susdit jour i''^»"juillet(i)M' delaForest(2) réjouit beaucoup M' le Marquis par son arri- uée, ayant esté enuoyé de Neug^uerra (3) par nos troupes d'enhaidt pour donner auisde leur arriuée ; il ne fut que 4 jours à faire près de 100 lieues. Il auoit 8 hommes dans un canot, il nous aprit qu'ils auoient pris 60 Anglois qui venoient en traite sur nos terres, ce qui auroit apporté un grand préjudice à la Colo- nie par la suite, si l'on n'y auoit pas mis or- dre ; tout semble se vouloir bien disposer pour la reûcite de nos entreprises. <( l\l. Sivret qui auoit esté enuoyé à Ga- necousts (4) ayant donné auis qu'il n'estoit pas assez fort pour enleuer tous les Hyroquois qui y estoient, village distant du fort de 7 lieues, on détacha 50 hommes commandés par M^" de Repentigny pour ayder a les pren- dre ; nous attendrons leur retour pour partir : (i) Voir les Oydyes de marche. {2) M. de la Forest, major de Catarocouy, « fort hon- nête homme, bon officier et qui a très bien servi le Roi en Amérique. » (Charlevoix, Hist. gén., t. I, p. 465.) Il en est parlé dans V Introduction . (3) Niag-ara. (4) Canneyoutk, aapr^s du Lac Ontario, au nord du ort de Catarokouv- — HS — En attendant on distribue les viures a chacun afin de ne point perdre de tems, il a fallu tant aux trouppes qu'a la milice près de 40,000 de biscuit et 400 minots de pois sans le lard qu'ils auoient apportés, ce qui fait voir la nécessité d'auoir de bons magazins icy, sans ce qui a desja esté enuoyé a nos troup- pes d'enhault. « M^" le Marquis depescha le 2^ le sieur de la Forest pour s'en retourner en toute dili- gence porter ses ordres à nos guerriers d'en hault en leur disant que nous sommes prêts à partir, qu'ils ne s'impatientent point. <( Le vent du nord est contraire à nostre parti et Ta empesché de reuenir aujourd'huy 2 du mois. Chacun s'apreste à partir. « Le 3, l'ordre du départ (i) de la marche estoit donné, nostre party n'estant pas encore arriué, et les bateaux, fusils et viures n'ayans pas esté encore tous fournis et accommodez, nous retardâmes jusqu'à midy; nostre parti arriua auec près de 80 personnes, 1 7 hommes, le reste femmes et enfans ; Il y a apresent au fort 200 esclaues, 50 homes et le reste fem- mes et enfans ; on a lié les homes en attendant (i) Voir les Ordres de marche. - 8() - que le conuoy arriue qui apporte des viures, et retournant doit emmener tous les hommes. (c Comme l'on se2:)réparoit à partir, le vent s'estant un peu leué, sur les 2 heures, nous ne pûsmes partir à cause d'une trauerse de 4 lieues qu'il y a a faire. « Le vent du sud-ouest s'estant reueillé nous fît rejouir de ne nous estre pas embar- quez sans rien précipiter ; ce temps fut cause que nous ascheuasmes tout à l'aise. s< M' le Marquis donna ordre à 2 barques de partir incessamment pour porter des viures en cas de nécessité, de plus l'on fait cantonner les conuois pour faire venir tout ce qui est nécessaire pour cette g^arnison et pour celle que l'on veut laisser à Neuguerra, dans un fort (i) qui s'y doit construire pour tenir en bride nos ennemis. M'' Doruilliers qui restera encore cette année commandant a fourny pour cet effet les mémoires de tout ce qui luy est nécessaire. « On laisse dans le fort pendant la campa- gne M. Bisorue major de Montreuil pour y commander et le sieur Desmarais (2) venu (i) Voir Charlevoix, HisL gén., p. 518, et la carte, t. II, p. I. (2) Ce capitaine, réformé en 1690, époque à laquelle i^ — ()0 — auec les nouuelles trouppes, M' le Marquis voulant auoir auprès de luy M^" Doruilliers comme nécessaire et fort entendu au mestier, et ayant connoissance des endroits ou nous allons ; il reste 50 hommes pour la garnison sans tous les ouuriers, M' le commissaire y est venu aussi afin d'auoir soin que les ma- gazins soient bien entretenus, que les trauaux ne discontinuent point. <( Le 4, dès le point du jour, nous sommes partis, dans un assez beau calme, nous som- mes venus camper à l'Isle au Galou (i) éloi- gnée du fort de 11 ou 12 lieues ; le vent du sud-ouest nous rendit viste {s/cj à nostre arri- vée qui fut cause que la nuit il fallut mettre les batteaux haut à cause des Roulins qui sont prodigieux dans ce lac quand il vente un peu. Le soir nous eusmes auis que 100 Hyroquois chagrins d'auoir eu de leurs gens pris relas- cherent du port et n'ont voulu suiure leurs gens ; Il y a en eut vn qui nous dit que deux de ces braues deuoient s'en aller au pays pour auertir des gens de nostre marche, cela ne commandait le fort de Chateaugay, fut tué dans une em- buscade par les Iroquois ainsi que son valet. (Charlevoix, Hi'sf. gén., t. I, p. 515.) (i) \Jîle au Galot^ située à l'entrée de la baie de Niouré dans le lac Ontario. — ()] — soucie g-uere n'y ayant plus cle mesure à «^-ar- der; les autres s'en retournent au sault Saint- Louis à 2 lieues du Montreuil, tout ce qu'il y auroit à craindre seroit que ces drosles ne s'auisassent d'inquietter nos gens en descen- dans leurs prisonniers. Je ne crois pas qu'ils en ay ent la hardiesse . « Le 5, le vent ayant continué avec vio- lence nous fit séjourner dans l'Isle (i) malgré nous. « Le 6, le vent et les rouiins ayant cessé sur le midy nous nous mismes en chemin et fismes 6 bonnes lieues dans nostre après dinée, en chemin faisant l'on découurit des pistes de nos ennemis c-ui fu3'oient nous ayant décou- vert dans risle au Galos, nos sauuages ne se mirent pas beaucoup en peine de courir après eux voyant bien que leurs pas seroient per- dus. « L'on detascha 2 canots françois auec des sauuages pour aller visiter la riuière où nous dénions camper, on ne pût rien découvrir. « Comme nous sommes à présent sur les terres de nos ennemis l'on a commancé à faire monter les gardes exactement : 4 capitaines (i) Uùe au Galot. — 92 — la doiuent monter tous les jours, 2 de troup- pes; l'un à l'auant garde, l'autre à l'arrière garde et 2 de milice dans le centre ; nous som- mes à présent du costé du sud par le moyen des trauerses que nous auons faites, et la riuière oii nous campons aujourd'huy s'ap- pelle Cattaragaranné qui veut dire terre mouillée. « Le 7, dès le matin nous sommes partis et auons fait 12 lieues d'vn fort beau calme, il sembloit que le vent nous voulut faire voir plus de 300 voiles sur le lac, mais la grande chaleur nous a priué de cette satisfaction. « Le matin nos sauuages ayant mis a terre ont découuert les pistes de 5 Hiroquois, le casse teste d'vn a esté trouué qui a esté re- connu pour estre d'vn Onontague selon leur manière que je connois il semble que cette nation vueille s'unir aux Sonontonans pour donner contre nous quoyque nous ne luy ayons rien dit. Il ce peut faire aussi que ce sera quelque jeune Ononodi qui leur a laissé par brauade. « Nous auons passé en chemin faisant une riuiêre nommée la Famine (i) à cause que les (i) Après la Rivière de l'Assomption, on rencontre en suivant les rives du lac Ontario du nord an sud la rivu're — 9.T, — R. p. Jcsiiitt's montant en mission dans ces lieux souffrirent vne grande faim ; nous auons fait halte sur le midi à vne petite riuière qui va à vn chemin qui mène au village des Onon- tag-ues(i). lise peut que les sauuages dont nous auons trouvé les pistes s'en sont allez par là pour auertir leur nation de nostre arri- vée, nous auons campé le soir à vne demy lieue de leur riuière laquelle conduit jusqu'à leur village; nous auons envie d'y aller cam- per, comme nous auons appréhendé de ne pas trouuer d'endroit pour placer nos batteaux nous n'y auons pas esté. « Le costé du sud que nous tenons depuis notre trauerse est fort sableux , beau bois franc d'escorce qui nous feroit bien de la peine si nous estions surpris du vent. « Le 8, en passant vis à vis la riuière des Onontagues ou nous auons decouuert des cabanes sauuages dont on ne faisoit que de des Sab/es^ la rivière de la Planche^ la rivière de la Grajtde Famine^ et la rivière de la Petite Famine. D'après le P. de Charlevoix, dans cette anse du lac Onta- rio, les Français, sous la conduite de M. de la Barre avaient en 1684 souffert pendant quinze jours une extrême disette ; de là les noms donnés à ces deux dernières ri- vières. (Charlevoix, Hist. gén., t. I. p. 493, t. III. p. 206.) (i) La rivière des Onontagitès. — V. Charlevoix, Hist. gén., t. III, p. 278, carte. — 94 partir les coups de fusils qui furent tirez entre 8 et 9 sur leurs chiens emportèrent nos sauuag-es dVne ardeur sans nous rien dire, il sembloit à les voir partir que tout estoit perdu, leur emportement ne dura guère; comme l'on croyoit venir camper à Cherotons, Ton detascha 20 François auec 60 Sauuages pour decouurir s'il n'y auoit personne ; c'est un endroit de pesche fort proche des Goro- goins (i) grands amis des Onontagues, on ne trouva qu'vne cabane vuide d'où les sauuages estoient partis il y auoit 2 jours; l'armée ne pût venir à cause du mauuais tems qui dura toute l'après-dînée, elle campa à 4 lieues du Cheseretons. « Le 9, nous passâmes Cherotons et fusmes obligez de mouiller à vne lieue au dessous à cause d'une orage qui suruint laquelle ayant cessé nous vinmes camper à 8 lieues d'où nous deuions débarquer. « Nous vismes le soir la barque qui venoit de Niagoira porter des rafraîchissements à nos françois d'en hault qui nous amena M. de Boisguinot (2) porteur des ordres de MM'' de (i) Coyogouins ou Gorogoras, canton Iroquois. (Voir Charlevoix, Hist. gén.^ t. III, p. 276, carte.) (2) Boisgîiillot, sujet canadien. la Durantaye (i), Tonty (2) cl du IJuii ; un canot tut détaché pour y aller d'abord que l'on fut embarqué pour aporter les nouuelles et le lendemain retourner pour luy donner les ordres de M'" le Marquis afin de s'en retourner du costé de Nag-uerra si le vent venoit fauo- rable ; on luy fit faire des auirons pour que Ton pût nag-er en cas de calme. « Le 10 M' le Marquis ayant apris sur les depesches de ces messieurs qu'ils deuoient se rendre au marais (3) ce mesme jour il fit par- tir de fort grand matin ; ce fut une grande joye pour tout vn chacun, sur les 2 ou 3 heu- res de voir nos deux corps se joindre après une marche si opposée l'une à l'autre, comme si ce n'avoit esté qu'à vne journée ; à la vérité il y paroist quelque chose d'extraordinaire. « Avant que d'arriuer on détacha des sau- vages auec quelques françois pour voir si les ^i; Oliviey Morel de la Duyaiiiayes, gentilhomme nan- tais, capitaine dans le rég-iment de Carig-nan-Salières, Voir X Introduction. {2) Le chevalier Henry de To7iiy était fils de ce ban- quier italien qui vint établir en France les assurances ap- pelées Tontines .Yiç.nrY de Tonty qui accompagna Cavelier de la Salle a publié une relation intitulée : Dernières découvertes de M. de la Salle (1697). ;Charlevoix, Hist. gén.. t. I, p. 457). ^3) Le grand marais, au nord du Niagara. — Voir Char- levoix, t. II, p. I., carte, v. t. III, p. 225. — 96 — Sonontonans se présenteroient pour défendre le bord et le débarquement, Ton découurit quelques pistes de coureurs toutes fraîches et rien de plus. Il y auoit aussi quelques cabanes délog^ées du jour de notre arriuée, comme le villag"e n'est éloigné que de huit lieues on ne daigna pas courir après eux. « D'abord que nous fûmes arriués on choi- sit un terrein pour y faire un fort afm de mettre nos canots et batteaux à l'abri de l'insulte de nos ennemis, c'est un endroit nommé Canin- caroutagoun ( i ) qui est un marais qui fait une langue de sable ; il se descharge dans le grand lac, on a mené là dedans tous les batteaux qui furent deschargez, et pour les conseruer on les emplit d'eau, l'endroit ayant esté trouué comode on ordonna à chacun de faire des pieux (2) et des fascines, « Le ii, tout a esté fait, vne partie des pieux plantez, l'on a comandé 400 homes pour y rester sous le comandement de M. Doruil- liers sur la grande confiance que l'on a en luy, c'est ce qu'il y a le plus à craindre, puisque s'ils venoient rompre nos canots et (i) Ganientaroutagouat^ s'appelle aussi la rivière des Sables. — V. Charlevoix, Hist. gén.^ t. III, p. 276, carte, et t. I, p. 515. [2) C'est \&/ort des Sables qui fut achevé en 2 jours. — 07 — butteaux ils nous auroient bientost fait mou- rir de faim. « Il y eut trois ou quatre hiroquois (jui eu- rent l'effronterie de venir nous brauer en tra- uaillant à nostre fort, ils nous chantèrent pouillcs disant qu'il falloit se venir battre et non pas faire un fort, que nous vinssions viste nous faire tuer, qu'ils auoient enuie de man- ger de la chair blanche, nous les laissâmes dire et continuasmes nostre fort ; ils tirèrent deux coups de fusil dont les balles tombèrent à la queue de nos batteaux. « L'auis que nous auons eu de 4 chinoises ( i ) qui se sont trouuées, nous fait dépêcher. Elles ont dit que les anciens deliberoient sur ce qu'ils auoient à faire pour se garantir de l'orage qui leur alloit tomber sur le corps, les uns veu- lent fuir, les autres veulent rendre tous les esclaues pour ne l'estre pas eux-mesmes; la planche est tirée, il faut qu'ils la suiuent. « Ce mesme jour l'on a fait passer par les armes un françois (2) qui a esté pris avec les ( I ) Habitantes de Vîle de la Chiite à trois lieues de Mont- réal. (2) «Le général (de Denonville) avant que de partir de là, y fit passer par les armes le François qui avoit servi de guide aux Anglois pour aller à Michelliraakinac, et qui avoit été pris en combattant contre le service de son prince. » — Charlevoix, Hist. gén.^ t. I, p. 515. - 98 - Anglois, déserteur de la colonie depuis quel- ques années, conformément à Tordre que M^ le Marquis a reçu cette année de Sa Majesté . « Le 12, ayant achevé de planter les pieux et fassines les plus nécessaires nous nous som- mes mis en marche pour nous rendre au vil- lage par terre, l'on a fait prendre des vivres pour 13 jours ; comme il estoit près de 4 heu- res, nous n'auons fait que trois petites lieues sans rien rencontrer. « Le 13(1), nous sommes partis dès le matin , nous pressants d'arriuer ; nous passâmes 2 mé- chants défilés où, si les ennemis nous avoient attendu ils nous auroient beaucoup incommo- dez. Il n'y en auoit plus qu'un troisième, proche du village auant que d'entrer dans les déserts ; comme la chalenr estoit grande cha- cun estoit fatigué tant par la charge que par la marche, on ne comptoit plus que cinq ou six lieues d'oii nous auions campé, mais elles sont trop grandes, on en doit compter plutost 8. Enfin ayant fait une halte auant que d'ar- riuer au défilé, il y eut des saunages qui rapor- tèrent qu'ils auoient vu des hyroquois ; comme (1) Voir les Ordres de tnarche. — V. Charlevoix, IT/j'/. gén.^ p. 515. (Cet historien donne à ces faits la date du 13 juin.) leurs noLiuelles sont sujètes a caution et de plus qu'un autre vint luy donner le démenti, on marcha toujours à l'ordinaire. Nous auions avec nous nos françois au nombre de 376 en 3 compagnies commandées par MM'^ la Du- rantaye et Tonti et du Lhut, et leurs sauuag-es au nombre de 423 qui remplissoient comme il paroist les troupes que nous auions laissées a nostre fort et les malades compris. Il y avoit 450 homes et nous en nombre de 600 d'aco- gm°'\ Nos Outouois estoient à l'auangarde auec M'", de Calière et les sauuag-es tant de part que d'autre sur les aisles à la droite et la gauche; comme nous estions en bon ordre, les Sonontonans qui nous attendoient effecti- vement furent bien receus, ils estoient au nombre de 300 qui tirèrent d'abord à nostre gauche, le poste de notre auangarde estoit auantageux, il y avoit aussi sur la droite 500 Otouans (sic) que nous auons pris, ils cru- rent que leur descharge nous intimideroit et nous feroit reculer et ainsi qu'ils nous enuelo- peroient facilement. Ils furent trompez ; ayant auancé a leur feu, nous saisissant d'abord d'une hauteur pour leur couper chemin, nous les repoussâmes avec vigueur; ils voulurent filer croyant se pouuoir joindre a ceux qui — lOO — estoient a nostre droite. Le feu que tit faire M', le Marquis par nos troupes leur donna une telle épouvante qu'ils s'enfuirent tous, jettant leurs fusils et tout ce qui pouuoit les empêcher de courir, ce ne fut pourtant pas sans peine que nous fumes maîtres du champ de bataille ayant eu deux françois de tuez sur la place, quinze de blessés (i), dont le R. P. Ensalran, supérieur des missionnaires en a esté. Il a eu un coup de fusil prodigieux, c'est un homme a qui le pays a obligation ayant maintenu tou- jours les saunages en union, il y a aussi eu 15 saunages de tuez ou blessez, nous avons trouué 14 ennemis sur la place que nos sau- nages dessiquetoient d'une façon toute extra- (i) Charlevoix dit cinq ou six hommes tués et environ vingt blessés. Hist. géri.y t. I, p. 516. « Le seul homme de marque qu'on perdit dans cette oc- casion fut un capitaine Agnier nommé la Cendre chaude il avoit été un des bourreaux du P. de Brébeuf et il attri- buoit sa conversion aux prières du saint martyr. Il avoit si bien réparé son crime, que peu de missionnaires ont ga- gné à Dieu autant d'infidèles que lui. » — Charlevoix, Z^/j-/. gén., t. I, p. 517. (2) Le P. Anjelran^ jésuite. M. de Denonville dans une de ses lettres à M. de Seignelay dit que la Nouvelle France avoit de grandes obligations à ce missionnaire, qu'il avoit contribué plus que personne à retenir les Ou- taouais et les Hurons dans notre alliance et que sans lui il y auroit longtemps que Michellimakinac seroit au pou- voir des Anglois ou des Iroquois. (Charlevoix, Ilist. gén. t. I, p. 516.) — loi — ordinaire. Ils coupoient la viande corne à la boucherie, il y en auoit qui leur ouvroient le ventre et buvoient leur sang- tout chaud, (i), nos Outouans sauuages firent de mesme et le plus mal pour se battre ayant lasché pied, ce que ne firent pas nos françois qui assurément se firent distinguer aussi bien que nos sauuages chrétiens qui firent des actions de valeur, nos hiroquois se surpassèrent et firent voir qu'ils surpassoient de beaucoup les Sononto- nans et que Ton deuoit doresnavant se fier a eux. « M^ le Marquis qui s'exposa par trop pour visiter tous les lieux auantageux où il pour- roit poster ses troupes les voyant fort haras- sées et fatiguées de notre grande marche, se résolut de camper au lieu où le choc s'estoit donné ne connaissant pas non plus le terrin et incertain du nombre de nos ennemis qui tous (i) Une scène de festivité hideuse suivait toujours la torture d'un prisonnier ; elle avait à la fois, chez les Hurons , le caractère d'un acte de veng-eance et celui d'un rite re- lig'ieux. « Si la victime avait montré du courag^e, on rôtissait d'abord son cœur, puis, coupé en morceaux, il était par- tagé entre les jeunes hommes, qui devaient y trouver l'accroissement de leur courage. Le corps était ensuite divisé, bouilli et mangé par l'assemblée, la tète étant réservée au chef. » (F.Parkmann. Les Pionniers français . Inirod. p. xxiv.) ensemble pouvoient estre aussi forts que nous ; ainsi il s'apliqua a chercher tous les endroits où il pourroit mettre ses troupes pour mieux voir les ennemis en cas qu'ils voulussent encore venir nous voir et venir à la charge ; je ne puis assez dire la peine qu'il se donna a visiter de tous côstés afin de mettre ses troupes en bataille, jusqu'à la nuit il n'eut point de repos ayant toujours mangé sans se reposer, et il n'y auoit pas une petite hauteur qu'il n'allast visiter; enfin tout estant par ordre il s'en revint oîi ses gens l'attendoient si fatigué qu'il n'en pouvoit plus, cependant toujours prest a marcher dès la moindre parole qu'il entendroit. « Le soir nos sauuages firent festin de toute la viande de nos ennemis qu'ils auoient mise dans les chodières. Il s'en trouua un blessé qui n'estant pas encore mort fut interrogé, il dit qu'il y auoit 800 Sonontonans, que 250 Gojogouins les venoient joindre, que les Onontagues se venoient batre contre nous ce qui ne s'est pas trouué véritable ; nos sauuages les (sïc) prirent et n'en pouvant tirer raison ils voulurent les (s/c) attacher au poteau pour les (s/'c) brusler mais voyant qu'il n'en pouvoit plus ils luy cassèrent la teste à coups de hasche — 103 — et le mirent à la chaudière comme les autres, ils décolèrent ces 14 hommes et mirent leurs testes a des piques après en auoir leué les cheuelures (i) ce qu'ils font auec une facilité inconceuable comme qui osteroit une calotte. « Ce qui est cause que nous auons tué moins d'hyroquois est la marque (2) qu'ils auoientpris pareille à nos sauuagcs surl'auisdu (3) nauire qui estoit esclave avec les hurons de Missili- moki (s/'c) (4) qui se sauua de Niagera ; cela nous fit beaucoup de peine. La nuit nous auons euuneallarme causé par une sentinelle dont le fusil partit par mesg-arde ce qui nous fit venir à l'escot. « Le 14. toutes les troupes estant en bataille, nous nous sommes préparez à marcher, la pluye nous a un peu retardé ; nous croyons, sur ce que ce blessé nous auoit dit, auoir une sa- (1) Suivant la coutume de tous les guerriers des nations sauvag-es de TAmérique septentrionale, la chevelure ainsi conquise devenait le plus glorieux des trophées. Quand on avait scalpé un prisonnier dont on voulait prolonger les tortures on coiffait le malheureux mutilé avec une sé- bile remplie de sable brûlant qui arrêtait l'écoulement du sang. Plusieurs des missionnaires chrétiens ont subi, au xvii" siècle, cet horrible supplice. i^Ch. de Bonnechose. — Montcalmet le Canada français ^ p. 46.) (2) Voir les Ordres de marche. (3) Il y a sans doute un mot omis. {4) Missillimakinac. — 104 — luade ce matin des Gojogoins, cependant rien n'aparu; la pluye ayant discontinué nous auons suiui nostre route jusqu'au vilag-e ou nous n'auons trouué personne, ils y ont mis le feu et s'en sont fuis ; dans les déserts on a trouué encore sept corps morts de blessures que leurs gens avoient laissés. Ce village se nomme Ganaguiara (i), il estoit fort grand; le bled qu'il y a a brusler et a gaster nous fit séjourner nous ayant fait mettre en cas d'attaque du feuillage à nos sauuages afin de les distinguer de nos ennemis (2). « Il y a un quart de lieue d'ici un fort qu'ils auoient fait où ils auoient mis force bled ; ils n'ont osé tirer quoyque fort avantageux estant escarpez de toutes parts assez bien flanquez pour des sauuages ayant fait une allonge pour pouvoir aller facilement à une fontaine qui est au pied. « Le 15 on a détasché M', de Tonty pour y aller mettre le feu ; il y avoit des cochons qui ont fait plus de mal que de bien (3), cela ayant (i) Un des quatre grands vallag^es qui composaient le canton des Tsonnonthouanset qui était éloigné de sept ou huit lieues du fort des Sables. — (Charlevoix, Hist. gén.^ t. I, p. 517.) (2) Voir les Ordres de marche. (t.] Voir Charlevoix, Hisf. gén. t. I, p. 517. loc; — causé des flux qui ont fait beaucoup de ma- lades. « En ce mesmc tems la moitié de nos troupes conduites par M. de Calliere a esté commencer à fourag-cr les bleds, pendant quoy nos sau- vages enuieux du pillage ont esté fureter dans les bois et ont trouvé quelque butin et vn petit vieillard si hébété que l'on n'a pu tirer raison de luy ; on luy a cassé la teste l'après dinée ; l'autre moitié a esté conduite par M^ Vau- dreuille; nos sauuag-es courant toujours ont encore trouué un viellard qui a chanté à mer- veille sans s'estonner , il nous dit (jue les vSonon- tonans estoient 220 qui auoient donné sur nous et que 550 estoient sur nostre droit en cas que nous eussions reculé pour donner sur nous ce qu'ils n'ont osé faire se contentant de faire leur descharg-es en fuyant ayant veu la ma- nière dont nous auons receu le salut des pre- miers. « Il a encore dit que le Sonontonan s'en- fuioit auec les Gojogoins à Onontagues, pays fort meschant et inaccessible, ce qui fait que malgré lenuie que l'on a à les poursuivre il faut se contenter de ruiner leurs bleds ce qui leur fera un grand tort sans que nous courions risque de perdre la moitié de nostre petite — io6 — armée ; il nous assura que TOnontague s'estoit desclaré contre nous parce qu'il auoit apris que nous auions mis un de leurs chefs en pri- son, ce qui ne s'est pas trouué véritable, ainsi l'on ne faisoit encore pas de fond sur la réso- lution qu'ils avoient pris ; ce qu'il y a de vray est que le Sonontonan qui paroissoit le plus fier et qui ne nous croyoit pas capable de le venir voir est tort surpris et estonné; il y a encore eu deux esclaues de pris qui ont eu la vie sauve par ce que ce sont de nos alliez qui ont esté pris depuis quelques années; elles venoient de chasse avec 4 hommes, 2 autres femmes et 2 enfants, elles se sauvèrent ayant apris que nous estions proche ; le viellard après auoir esté baptizé et nous auoir dit que depuis 9 jours nous estions attendus dans l'ambuscade a eu la teste cassée. v^ M', le Marquis a tasché d'inuiter nos sau- vages a courir après nos ennemis qui fuyent, mais voulant auoir des françois auec eux il n'a pas jugé a propos de leur en donner parce que s'ils venoient a estre attaquez ils s'abandonne- roient et seroient bientost taillez en pièces. « Voulant aussi soigner les blessés et de plus a cause du sieur Enjalrant fort nécessaire au pays pour sa capacité, il se résolut d'en- voyer loo hommes au Marais(i) où est nostre fort en ayant fait la proposition à nos sau- vages ils ne voulurent fournir personne, ce qui le chagrina beaucoup et il fallut changer de dessein; c'est une chose bien fâcheuse d'a- voir afaire à ces gens-là. « Sur le soir, nos sauvages prirent encore vn esclaue qui fut reconnu Chaovanon (2) par sa nation dont nous auions 50 estans de nos alliez ; il leur a esté rendu après auoir esté honestement traité par nos gens qui le cru- rent hyroquois ; ce ne fut pas sans contester, quelques uns le prenoient pour espion ; ils ont encore une femme qui nous assura qu'il y avoit 800 Sonontonans a l'attaque. « Il y auoit encore resté des bleds, on les alla couper avec la moitié de l'armée etlaprès dinée nous campâmes pour venir à Goin- guerra (3) où il y a beaucoup de bleds ; sur le soir nous fumes inquiets de quelques sau- (1) Vide supra et Charlevoix, /f/^/. gén.^ t. I, p. 517. (2) Sauvages voisins des Iroquois, avec lesquels ils étaient en g-uerre depuis plusieurs années. En 1671, les Iroquois les exterminèrent presque tous et suivant leur habitude se servirent des Chouanons captifs pour combler les vides que la g-uerre avait faits parmi eux. (Charlc- \o\yi.Hist. f[én.^ t. I, p. 443.) (3) Goiogonen. — V. Charlevoix, Hist. gén.y t. III, p. 276. — T08 — vages qui manquoient, on les crut pris parce que d'autres disoient auoir entendu grand bruit dans le village où ils estoient allez ; quelque peu après on les vit reuenir chargez de butin qu'ils auoienttrouué dans ce village. « Le 1 7 on a coupé les bleds qui estoient à l'entour du village, la pluye est cause que l'on a achevé tard. « Le 1 8 nous sommes venus camper a vne demy lieue de notre premier camp vers le fort dontj'ay parlé où il y a force réserve (i). Il y a 800 pas de tour bien mesuré ; s'ils auoient voulu tenir ils n'auroient pas laissé de nous donner de la peine, il n'est com- mandé de nulle part ; leur communicàon alors n'estant pas acheuée nous les aurions beau- coup incommodez. L'on a acheué de brusler ce qui n'auoit pas esté consommé par M^ de Tonty, c'est quelque chose d'estonnant que les bleds tant vieux que nouveaux que nous auons desjà gastez ; sur les 10 heures du soir nous eusmes une allarme causée par une chi- noise (2) qui se sauvoit et n'ayant point ré- pondu a notre sentinelle fut blessée a la (1) Les Iroquois cachaient leur h\é en terre comme le font les Arabes dans leurs si/os. (2) Side supra. — HV) — cuisse d'un coup de fusil ; on ne kiissa pas de l'interroi^er, elle nous dit que la conster- nation estoit fort grande parmy nos ennemis que nous auions tué a nostre attaque 40 per- sonnes et beaucoup de blesssz ; si cela est, je m'en rapporte. Ce qu'il y a de seur est que nous auons trouué 27 hyroquois de morts ; en ayant encore trouué six ou dans le bois on dans les déserts ; elle nous a assuré que les Sonontonans estoient à l'attaque, que les autres nations ne se vouloient point mesler auec eux. « Le 19 (i) nous sommes venus au village de Totiaeton éloigné de 4 lieues de l'autre où l'on a encore plus trouué de bled qu'en l'autre ; nous auons encore eu une allarme causée par nos saunages qui nous a fait tenir presque toute la nuit sous les armes ce qui fatigue beaucoup nos troupes n'ayant guère de repos ny jour ny nuit. <^ Le 20 nous décampasmes pour nous mettre un peu plus sur la hauteur estant proche de vilains endroits où les ennemis nous auroient pu insulter et l'on fait couper les bleds. Vne autre femme qui s'est trouuée ( I ) Voir les Ordres de marche. lïO nous a dit les mêmes n'"" que Lilinoise (i); elle a aug-menté que 4 hyroquois des nostres qui estoient venus porter la nouuelle de nostre marche auoient eu la teste cassée, et que fuyant auec les Sonontonans ont sorti de Mea- mis les auroient tués (2), qu'elle en entendoit les cris, qu'elle se sauua ; si cela est vray ie m'en raporte cette n'"'' du saunage confirme pourtant celle la que les hyroquois estoient allez auertir leurs gens. « Le 2 1 nous sommes venus au village de Ganonata à 2 lieues de Totiaeton dernier (village) Sonontonans où nous auons bien bruslé du bled. « Il y a un huyon (3) qui nous a rejoint au- jourd'huy nous ayant quitté le lendemain de nostre attaque pour tacher d'attraper quelque chevelure ; il en a apporté 2 de viellards, femme et homme ; il rapporta que la conster- nation est si grande parmy eux qu'ils vont quiçà qui là ; il paroit qu'ils prennent les che- mins des Andustogues, nation qu'ils ont dé- truit depuis quelques années. Nous auons trouué au village les armes d'Angleterre, qui (i) L'IUinoise. (2) S/c. (3) Pour Huron. y auoient esté plantées il y a 3 ans lorsque M' . de la Barre voulut venir en guerre ; ils les auoient antidatées d'un an. « Le 22 dès le matin, après auoir fait brus- 1er les vieux bleds et rauagé tous les nou- veaux, nous sommes reuenus à notre camj) de Totiaeton pour acheuer de ruiner tout ce qui reste ; la pluye a empesché nostre dessein estant venue par orage ; 4 hiroquois animez a l'exemple du huron se sont détachez pour leuer aussi quelques cheuelures. (x Le 23 (i), le tems s'estantmis au beau on a acheué la récolte ; c'est une chose surpre- nante que la quantité de réserues qu'ils ont ; je crois qu'ils doivent estre au moins 15 ou 16 mille âmes ; il y en a qui ont estimé la part des vieux et nouveaux bleds à 400,000 mi- nots. Nous auons trouué au village une plan- che écrite à leur manière qui nous d lait con- noistre les entretiens des saunages hiroquois auec les Anglois par un conseil soutenu qui sollicitait la guerre contre nous. « Les 2 premiers villages n'auoient rien voulu décider, il n'y eut que le dernier ou le chef qui est Onongueritoust grand ami des François dit qu'il la falloit faire ; l'Onontague (i) Voir les Ordres de marche. — 112 — est dépeint sur cette planche comme un oy- seau qui voit de loin tout ce que Ton veut faire sans toutes fois s'en mesler.Cela c'estoit fait par le moyen d'Aria interprette qui estoit venu à cheual auec des Sonontonans, son cheual a une hache dans la bouche pour mar- quer qu'il vient parler de guerre, l'on ne peut bien expliquer la chose sans la montrer telle qu'elle est dépeinte ce qui est assez plaisant à voir ; ce sont de nos saunages qui en ont donné l'explication ; sans eux, je ne crois pas qu'on pust deviner ce que c'estoit. « Sur le midy tous les bleds ayant esté cou- pez et bruslez nous auons commencé a prendre notre chemin pour nous en retourner aux ba- teaux ; l'on a marché en bataille afin de tenir aussi bien que nous auions comencé et n'estre point surpris encore que nostre ennemy vou- lût sa revanche ; en chemin faisant un de nos saunages a rencontré un hyroquois qu'il a tué, ce qui a chagriné M', le Marquis pour ce qu'il auroit bien souhaitté apprendre des nouuelles de nos ennemis et la cause pour- quoy ils ne paroissent point. « Il a esté reconnu par de nos hiroquois pour estre de la nation il y en a d'autres qui prétendent que c'est un esclaue qui se sau- — TI3 — voit, tel qu'il est je ne crois pas (jifil en re- vienne sitost. « Nous auons fait 2 bonnes lieues clans notre après disnée en venant jusqu'au bout de 3 petits lacs assez agréables que l'on ren- contre, nous n'osâmes passer outre a cause de l'eau que nous n'auions pas trouuée sitost ainsi que nous raportoient nos conducteurs ; ce chemin est pareil au premier que nous auons tenu pour aller aux villages Sononto- nans. Le commencement est assez beau tout bois franc. <( Le 24 dès le matin nous nous sommes mis en chemin pour tascher d'arriuer a nos bat- teaux ce que nous auons fait ; il y auoit six mortelles lieues que nous auons trouuées longues. Tout y estoit en bonne disposition. Il estoit temps d'arriuer estans tous fort fati- guez, de plus, nos blessez souffrirent beau- coup par toutes ces marches et nous en auons perdu 4 dangereusement blessez. Nous n'a- vons esté que 13 jours dans notre marche. Cependant tout le monde estoit sur les dents par la grande chaleur du jour, et la nuit un froid a n'en pouuoir plus ; ce qui estoit de pire, personne n 'auoit de quoy se couurir, cela causa des rusmes, et fleures en fort grand 8 — 114 — nombre ; je croy que le cochon fra^is que Ton mang-ea contribua beaucoup au flux. « M' de Caliere et M' de Vaudreuil ont beaucoup soulagé M'" le Marquis qui seul n'auroit pu suffire a tout ; il se reposoit sur eux pour la récolte ou ils aporterent tous leurs soins d'une manière toute particulière y estant depuis le matin jusqu'au soir ; ils eurent leur part des incommoditez aussi bien que les autres, cependant ils agirent comme s'ils auoient esté en bonne santé ; M' le Mar- quis (i) de son costé voulant voir si on ne quittoit rien s'en alloit visiter partout ou il y auoit apparence de désert et menant auec luy de ses gens faisoit moissonner, et luy mesme trauailloit pour donner courage aux autres ; c'est une grâce toute particulière que Dieu nous a faiste de l'auoir conserué sans succom- ber sous le fardeau après la peine qu'il se donnoit n'ayant repos ny jour ny nuit. « Le 25 nous auons trauaillé a faire partir une barque pour doner des nouuelles a nostre expedion (sic) au pays en menant une partie (i) Charlevoix a loué la conduite de M. de Denonville pendant toute cette campagne et montré les conséquences heureuses de cette expédition qui intimida pour quelque temps les Iroquois. — Charlevoix, Hisf. ^en. , t. I, p. 518. — 1 1:; — de nos malades et blessez qui sont en nombre. Elle a leué lancre et sen est allée d'un bon frais de sud ouest, on a ordonné aussi la dé- molition de nostre fort et le bruslement des pieux et pilliers afin que nos ennemis ne s'en pussent seruir. c Le 26 nous nous sommes mis en chemin pour aller du costé de Neagora (i) ou nos saunages chrestiens ne vouloient point venir malgré toutes les raisons que Ton pouuoit leur alléguer leurs remontrant qu'ils ne se- roient point libres d'aller a la chasse estant du costé de leurs ennemis. « Qoyqu'ils eussent promis de venir auec nous, le matin en partant nous fusmes surpris de les voir nous tourner le dos ; M^" le Mar- quis courut après eux et les fit reuenir. C'est une étrange chose que d'auoir affaire a des Saunages ne n'en voulant faire qu'a leur teste; cela fit résoudre M' le Marquis de prendre le deuant auec les François, outouans, la milice et les saunages pour se depescher et ne guère demeurer a Niagora, et voyant encore que la milice n'alloit pas assez viste il les laissa derrière. Nous fismes 10 lieues ceste (i) Niagara. — ii6 — journée dans nos canots quoyque partis tard a cause des sauuages qui nous retardèrent. « Le 27 dès le matin nous auons continué nostre route un gros vent d'ouest s'estant leué nous fit rester a vne riuiere que nous trouuasmes heureusement pour nous mettre a labry qui ayant continué toute la journée donna du chagrin a M' le Marquis de voir ses troupes écartées a la porte de l'ennemy ce qui luy fit prendre la resolution d'attendre a cette riuière nommée Onnata-Garonne, a 3 lieues ou nous auions campé, toutes les troupes, et de ne pas marcher plus viste; de peur ce donc il enuoya pour cet effet un canot léger tant aux troupes qu'a la milice pour les auertir de le venir trouuer de jour ou de nuit d'abord que le vent le pourroit permettre. « Le 28 au matin la milice arriua entre 6 et 7 heures du matin et les troupes entre loet 1 1 non sans peine le vent s'estant encore leué, ce qui nous fit rester dans ce camp. M'" de Montreuil nous a dit que 2 Algonquins qui auoient resté après nous au village de To- tiaeton auoient veu deux hiroquois, qu'ils auoient fait le coup de fusil et s'estoient en- fuis chacun de leur costé ayant peur les vns des autres. — 117 — « Le vent ayant cessé nous a permis de partir sur les 3 ou 4 heures et auons eu le tems de faire 3 lieues, nous auions pris reso- lution de marcher a lune leuante,mais le mau- vais temps qui voulut venir nous en a em- pesché. « Le 29 nous fismes dès le matin 2 lieues ; le vent s'estant leué nous fumes obligez de rester a cause des ecueils qui ne permettent point de l'aborder ; sur le midi ayant cessé nous fismes encore 7 bonnes lieues et vim- ment camper à 3 lieues de Naigarra (i). « Le 30 craignant encore le vent nous par- tismes a lune leuante et nous arriuàmes sur les 5 heures du matin a l'entrée de la riuière distante de 4 lieues du sault (2) dont on a fait 2 par eault et les 2 autres par terres. C'est le plus beau qui se puisse jamais voir, c'est sur- prenant que la hauteur dont il est. Les gran- des occupàons de M'' le Marquis ne luy per- mettent point d'y aller estant pressé a cause des récoltes. « D'abord que M^' le Marquis fut arriué il regarda ou il pourroit placer un fort (3) afin (i) Le Niagara entre le lac Érié et le lac Ontario. (2) La chute du Niagara. (3) Cavelier de la Salle avait conçu, en 1678, le projet ^ ii8 — d'y placer loo hommes du costé du sud-est, tant pour boucler nos ennemys que les sau- vages nos alliez sans cesse estant sur d'un azile, que pour rompre toutes me- sures aux Anglois qui vouloient se rendre maistres de la terre des hiroquois et par con- séquent de celle-cy pour auoir la liberté d'al- ler aux Outaouxans. L'endroit qu'il a choisi est fort auantageux estant a l'entrée de la ri- vière et au bord du lac sur une eminance fort escarpée ; c'est vne pointe qui fournit un bel angle ; on a tiré la place d'un quarré que l'on veut entourer de lOO pieux; pour cet effet, les habitants ont eu ordre d'en faire 2000, tandis que les soldats nettoyoient la place et commençoient les fosses pour les planter ; on les a fait faire de 16 pieds de haut. « Le 3 1 ils ont acheué de les amener et nos soldats les montent, ce qui est assez difficile ; ils en ont monté 700 par le moyen de 2 grandes pièces de bois qu'ils mettent sur quoy on les fait glisser et auec deux cordes on les attache pour les tirer en haut, on a fait en 4 endrois de construire ce fort de Niagara. Nous avons vu que le chevalier de Troye y fut laissé par M. de Denonville avec une garnison, qui y périt ainsi que son gouverneur. Le fort fut abandonné, puis reconstruit quelques années après. — no — ceste machine ; on auoit enuie de faire 2 ou 3 cheurons ; mais les outils nécessaires nous ont manqué les barques n'estant pas encore arriuées a cause du vent contraire qu'il a tou- jours fait ; elles ont un peu auancé la nuit passée, le vent estant trop grand elles n'ont pli gagner, et elles ont resté a 2 lieues d'icy ou l'on a enuoyé un canot pour aporter les outils de charpanterie dont nous auons be- soin. « Le prerjiier jour d'aoust le vent s'estant un peu tourné a l'est nous auons eu la joie de voir reuenir nos deux barques que nous at- tendions auec impatience, nous continuasmes toute la journée a faire monter nos pieux ; les soldats montoient et les habitans plantoient ; ils formèrent trois bastions qui est tout ce que nous souhaitions acheuer auant de partir pour mettre la garnison a l'abry des insultes des hiroquois, ce qu'estant acheué M^' le Marquis donna des ordres pour que la milice put partir le lendemain. « Le 2 trouuant a propos de faire garder le fort qu'il a fait faire au détroit par le sieur du Hault (?) il y enuoya vn homme pour com- pagnie, et luy dit au major d'enuoyer quel- ques bons chasseurs pour les entretenir pen- — 120 — dant l'hiuer et de plus aussy M^ de Tonty pour exorter les nations de ces quartiers de venir voir les hiroquois. Sur l'apres disnée il fit partir la milice pour prendre le chemin de Montreuil pour tascher d'estre a leur arriuée; il a donné ordre a M'^ de Vaudreuil aussi pour acheuer le fort, donner du bois de chauffage, laisser de bons hommes pour la garnison et ensuite de s'en venir a Cataracouy ou ils trou- vèrent (i) ses ordres et laissa pour comman- dant Ml" de Trois, ancien capitaine, auec vn autre capitaine, 2 lieutenants et 2 soulieute- nants. « La nuit M^* de Tonty reuint, qui dit que des Sauuages auoient veu des hiroquois auec des chemises blanches, chose qui n'arriue ja- mais a des ennemis, qui se mettent tout nuds et se frottent de terre glaise pour n'estre pas sitost apparens ; toutesfois M^' le Marquis luy donna 60 hommes pour aller voir ce que ce pouuoit estre, afin que, si cestoit un corps d'ennemys, ils pussent se retirer, ou, si ce nestoit rien, continuer leur route; on enuoya 3 ou 4 tambours pour intimider les ennemis en cas qu'il y en eust. (i) Pour trouveraient. — T2I — « Le 3 dès le matin nous nous mismcs en marche pour nostre retour malgré l'allarme que nous auons eue, M'" le Marquis n'ayant plus rien a faire et croyant que les ennemis ne vinsent a la coline ; nous fismes 1 3 bonnes lieues et campâmes la pointe de la trauerse de Teau pour passer le sud au midy. « Le 4 dès le matin a la lune leuante de peur que le vent ne nous surprit dans la tra- verse nous décampâmes a près de 4 lieues ; nous en fismes près de 14 dans nostre journée et nous vinmcs camper a la pointe Onoron ; nous attrapâmes nostre milice qui fit tant qu'elle campa auec nous ; M^ le Marquis or- donna a M. Dugué de faire marcher plus dou- cement et par ordre. « Le 5 le tonnerre, le vent et la pluye nous empeschèrent de partir ; le matin sur le midy le tems s'estant mis au beau nous fismes 8 lieues. Si ce n'estoit la quantité de malades qui sont dans nos canots nous irions encore plus viste ; tel canot ou il y a six homes il n'y en a que 3 en estât de nager, encore sont ils demy blessez. « J'oubliois a dire que le 4 nous trouuasmes nos Sauuages d'en bas qui auoient lié plus de 200 chèvres et se refaisoient des jeunes qu'ils — 122 — auoient faits ; nous profitâmes un peu de la viande fraische qu'ils auoient. Nous quitames nos bateaux, M^" le Marquis ayant enuie de se rendre en diligence pour expédier le conuoy qu'il veut enuoyer ; le 5 nous campâmes vis a vis les nauires. « Le 6 nous nous sommes embarquez des le matin et auons fait 14 bonnes lieues ; un petit vent nous a bien soulagé, nous sommes venus camper a 2 lieues de Honorasyé (i) en deçà, qui est lieu fort fameux pour la quantité de sauriens qui se pesche dans la riuiere. « Nous auons eu la barque, qui auoit mené nos malades au fort, qui s'en retourne a Nia- gara porter des viures a M^" Gallard 'qui y est pour visiter le poste par ordre de M^ le Mar- quis pour connoistre et sauoir les nécessités. « Nous auons passé un endroit nommé Ta- noita (2), qui est un pontage, qui a 14 lieues, par le moyen duquel l'on entre dans le lac Héron qui mené aux Otouans ; nos sauuages cette année ont apris ce chemin. « Le 7 nous auons fait 1 3 bonnes lieues et sommes venus camper a 2 lieues de Quinte (3) (i) Ou Gouarasyé. (2) TannaoïLté . — Voir Charlevoix, Hist. Géit.^ t. III, p. 276, carte. (3) Kenté. — V. Charlevoix, loco cilato. — T23 — qui est un villaî>"e ou MM. les séminaristes auoient une mission, laquelle ils ont quitté a cause du peu de fruit qu'ils y faisoient. « Le 8 un bon vent s'estant leué nous fismes près de 15 lieues ; nous vismes ce jour-là les 2 barques que nous auions laissées a Niag-ara, qui nous aprirent le départ de nos troupes ayant acheué tous leurs trauaux ; nous cam- pâmes ou Ml" Sivret auoit pris ces sauuages qui furent amenés au fort auant nostre départ. « Le 9 quoyque le vent fut contraire nous vinmes a Cataracouy sur le midi ; d'où nous estions il y auoit 7 bonnes lieues ; nous estions aussi partis dès le grand matin. « D'abord que nous fusmes arriuez M^' le Marquis pour ne point perdre de tems donna ses ordres a M. Doruilliers, qui resta pour le commandement auec 100 homes que M^" de Vardre (?) luy doit laisser en partant après auoir exécuté les ordres que M^" le Marquis lui laisse pour l'entretien de la garnison et le soulagement qu'il put luy donner pour son hyuer auec les troupes ; après quoy il doit s'en venir dans le rapide pour faciliter la na- vigation du conuoi que l'on fera le plus fort que l'on pourra afin que ce soit le dernier — 124 — de l'année. Nous auons nouuelle qu'un qui estoit dans le canot de M^' Perneuf (?), s'estant escarté 8 ou lo lieues du marais ou nous fismes nostre fort, auoit esté pris par 3 hi- roquois et qu'il auoit (i) ; tout lié qu'il estoit il trouua le moyen de se sauuer par le moyen d'un costeau qu'il auoit dans sa braie dont ils ne se sont pas aperçus ; ils l'auoient fort mal- traité, il trouua un canot dans lequel il se sauua tout criblé de coups. « Le 10, après que M' le Marquis eut réglé tout ce qu'il auoit a faire pour le fort, nous nous sommes mis .en chemin pour nous rendre au Montreuil auec la compagnie qui estoit arriuée un jour deuant a bon port. On fait embarquer tous les Anglois qui estoient en- core au fort auec tous les malades ; le vent de nordest ne nous permit de partir que sur les 2 ou 3 heures du soir et nous fismes 5 pe- tites lieues estant venus camper a la pointe a la mort. (?) « Nous n'auons non plus entendu parler d'hiroquois que s'il n'y en auoit plus, ce qui marque leur grande peur. «Le II, des le matin, nous auons de- (i) Il doit y avoir une omission au manuscrit. — 12:; — campe et fait i8 lieues et sommes venus cam- per a 2 petites lieues de la Galette ; nous en- terrâmes le fils (le M'" de Saint-Ours (i), aag-é de i8 a 20 ans, mort de maladie. Son frère est un gentilhomme de Dauphiné cy deuant capitaine dans Arragon et a présent dans les nouuelles trouppes que Sa Majesté a enuoyé cette année en Canada. « Le 12, nous auons passé les Galos, ra- pide plat, long sault et sommes venus cam- per a la pointe a Baudet ; il y a plaisir en descendant. Ion va bien viste; nous auons encore enterré un soldat mort de maladie. « Le 13 dès le matin nous nous sommes mis en chemin pour achener de passer le lac Saint-François, et sommes venus au soleil leuant au Lac. Quoyque depuis cet endroit jusqu'aux cascades il y ait six lieues, nous ne fumes pas une heure et demie a les faire ; il n'y eut que les cascades qui nous firent trais- ner estant trop plates pour risquer le sault ; nous arrivasmes entre 10 et 11 a la Chine, ou nous nous reposâmes en attendant l'arri- vée des autres canots, M'' le Marquis ayant (i) Voir, pour le père du jeune de Saint-Ours, Chrétien Leclerc. — Établissement de la foy dans la Nouvelle- France^ t. II, p. 436. — 126 — enuie de parler aux François d'en hault pour les inuiter a fournir 15 canots sans le conuoy. D'abord qu'il leur eut parlé et témoigné qu'il estoit fort content d'eux ils condescendirent a ce qu'il souhaitoit etdauantages'il en auoit esté besoin ; le soir après auoir réglé toutes choses, nous arriuâmes au mont Real ou nous estions attendus auec impatience. « Le 14, notre milice arriua sur le soir, a 4 ou 5 bateaux près, qui auoient restez der- rière a cause d'un accident qui tourna sa voile. M^" de la Valterie, qui l'apperceut, s'arresta pour sauuer le monde, ce qu'il fit ; c'estoit dans le lac Ontarion. « Le 15, Ml" l'Intendant arriua de Cabac (i), d'où on l'attendoit; on a commencé a tra- vailler au conuoy, qu'il a fait partir le 17 et le 18 estant allé lui-même a la Chine et a pré- sent il règle toutes choses pour garentir le pays pendant cet hiver. « M" le Marquis fait aussi ses detasches pour donner auis a la cour de ses expédi- tions. Un nauire de Roy, qui a resté, les doit porter ; il partira au commencement de sep- tembre. (1) Pour Québec. — 1^7 — « Dieu nous fasse la grâce d'acheuer aussi bien que nous auons commencé ; les ennemis ne font point encore parler d'eux. Nous auons trouué a nostre arriuée un marchand de j\Io. . . , député du colonel Doug-an pour venir parler d'aftaire ; on le rennoyepour faire connoistre que ses manières ne plaisent pas et qu'il ne fait pas l'intention de nos rois qui veulent que nous viuions en paix dans ce pays aussi bien que dans l'Europe. Nous n'attendons plus que le retour de nostre conuoy et de nos troupes qui ne doiuent aller qu'a la Galette parce que 2 barques doiuent venir charger tout ce que les canots auront ; ils pourront arriuer le 30 d'aoust pourvu que le mauvais tems ne les empesche point. « Voila tout ce que je crois sauoir et pou- voir mettre dans ce petit recueil, qui est le plus juste que j'ay pu tirer selon les connois- sances que j'ay eues. ^> FIN .^ LETTRES ET PIÈCES LETTRES ET PIÈCES Lettre de M. de Baugy a son frère. Relation de sa traversée. A Québec, ce 27 octobre 1882. Je t'ay desia escrit deux lettres, mon cher frère, pour tapprendre mon arriuée en ce païs ; j'espère que tu en auras quelqune des deux. Tune est datée du 5 octobre et l'autre du 20. Comme je ne te man- dois rien de toutes nos fatigues passées et que ie remettois tousiours a t'en instruire par les mesmes nauires qui nous ont amené croiant mes lettres plus sures par cette voie que par les précédentes, ie com- menceray par te dire qu'après auoir attendu long- temps a la Rochelle, ainsi que tu as pu sçauoir par celles que ie t'ay escrit auent de partir, enfin nous nous embarquâmes pour nostre départ la nuit du 12 au 13 de iuillet et nous fusmes encore a la rade lusques au 27 d'où nous partîmes d'un assez beau frais, mais le vent cessant tout a coup nous fismes sî — «32 — peu de chemin ce iour là que nous pensâmes reuenir sur nos pas sans un vent de nord est qui se leua et nous fit perdre la vue des terres si bien qu'en me leuant ie crus que le delug-e estoit reuenu ne voiant que Teau et le ciel et que nous estions sur Tarche pour nous sauner du naufrage. Comme ie ne prétend rien obmettre dans tout mon voiag-e ie trouue a propos de te dire que nous partîmes auec trois na- vires de g-uerre que commandoit M^ le cheualier de Flacourt accompagné de Messieurs Real et de Ro- chefort qui s'en alloient a Lisbonne pour prendre des commissions afin de courir sus les Turcs auec le pauillon de Portugal. Nous croions qu'ils nous ac- compagneroient iusques au cap Finister estant leur route, et mesme nous l'auoient fait espérer, qui est a 170 lieues de la Rochelle, ce qu'ils ne iugerent, après auoir leue lencre, a propos, puisque des le lendemain nous ne les vismes plus. Il y auoit aussy vn autre nauire qui venoit auec nous nommé le Saint-Jean-Batiste qui ne fut pas plus longtemps a nostre vue et mesme il n'est pas encore arriué a ce iour ; on l'attend auec grande impatience, M*". l'In- tendant qui est venu auec nous y ayant tout son ba- gage et qui plus est c'est que si il n'arriue pas bien- tost on ne croit pas qu'il vienne ceste année. Pour le nostre il s'appelle le Saint-François-Xauier, ie crois vous auoir mandé que c' estoit vn vaisseau marchand aussy bien que l'autre dont ie vous ay parlé. Apres vous auoir dit nostre départ et com- ment il fut, il faut a présent vous faire sçauoir le temps que nous auons eu pendant tout ce pénible voiage. Dès le lendemain, au soir, le vent commen- ça a changer et deuint tout a fait vent de vent {sic) ; — Ï33 — mais c'est la peu de chose puisqu'il ne se contenta pas de nous estre contraire, il fut si violent qu'il falut d'abord mettre a la cap. Comme ie doute fort (jue vous entendiez ce mot aussy bien que sa sig-nifi- cation je vous l'expliqueray icy afin que, quand vous le verrez dans la suite, vous sçachiez que c'est. C'est a dire auoir toutes les voiles serrées a la reserue de la g^rande que l'on laisse pour tenir le vent; le mieux que l'on peut on amarre le g^onuernail si bien que l'on va où il plaist aux vagues nous mener. Quand il dure 24 heures l'on deriue près de 10 ou 12 lieiies en sorte que nous fismes comme les escrevisses. Dien sçait la joie que nous eusmes de voir vn si ioli temps des le commencement de notre voiage, c'etoit un véritable plaisir que de voir une bonne partie de nous autres, non pas seulement ceux qui n'auoient pas encore esté en mer, mais mesme des personnes qui depuis longtemps y auoient esté. Chacun estoit de son . costé a faire ses efforts de rendre a la mer ce quelle ne nous auoit iamais donné ; c'estoit a qui ferait le mieux : chacun pretendoit estre maistre s' efforçant de ne vouloir rien garder qui pût des- plaire a la ditte mer. Ce n'est pas le tout, la nuit vint, il fallut s'aller coucher dans la Sainte-Barbe, ou ie ne fus pas plustôt entré que ie vis 8 ou 10 per- sonnes qui tenant chacun vn pot de chambre appe- loient nostre panure courieraleurs secours. Au diable si il vint; comme ie n'auois pas mangé grand chose ie me trouué un peu mieux que deux principalement auec qui i'estois qui n'auoient pas la force mesme de faire leurs lits, estoient dessus se pressant l'un et l'autre d'auoir vn certain pot de chambre pour rendre le tribut. Aiant compassion d'eux je me mis — 134 — en estât de leur rendre seruice en trauaillant a acco- moder leurs lits, ie ne fus gueres longtemps sans vouloir imiter mes compagnons, ie n'eus pas plustôt acheue de faire nos lits que, les prenant a partie Tun et l'autre, ie voulus auoir le pot a mon tour pour i mettre ce que Ton me demandoit. Apres m'estre assez bien acquité de mon deuoir, ie me couché, non pour reposer quoique ie fusse assez bercé par la quantité de vagues qui fesoient aller notre nauire comme il leurs plaisoit, ce qui nous fesoit sauter les vns sur les autres malgré nous. La nuit se passa de la sorte pendant laquelle me trouuant proche vn des sabords je fus un 'peu rafraichi par l'eau qui entroit par ce dit endroit de peur, je crois, que les fatigues que i'auois eu ne mechauffassent tellement que ie pusse en estre incommodé; ce qui m'obligea de me leuer d'abord que ie vis le jour paroistre quoique le sommeil m'accablât; ie ne fus pas plutôt sorti de ce charmant endroit ou il puoit comme la peste que prenant vn peu d'eau-de-vie ie montay sur le quart où la mer irritée contre moy sembla se vouloir fas- cher de ma hardiesse ; moy, de peur du procès, ie me despeché de luy rendre au plus viste ce que i'auois ne voulant rien auoir a desmeler auec elle, après quoy ie pris la peine de m'asseoir me traînant a quatre pattes pour attraper un banc, n'ayant pas encore le pied assez marin pour résister a tous ces chocs. Ce temps dura beaucoup pour moy aussy bien que pour les autres, ce n'est pas que voiant vn si grand interest en celle qui me tourmentoit, ie pris une forte resolution de ^ne luy rien céder et croiant ma cause fort iuste ie voulus en appeler de ce qu'elle ne prétendoit pas estre contente a présent de biens — 135 — que ie lui auois donné a confusion tant en venant a bord que depuis le commencement de sa colère. Voiant qu'elle pouuoit perdre son procès elle me laissa un peu en repos et me laissa disner quoi- qu'auec bien de la peine estant faschee qu'un nou- veau venu luy résistât plus que ceux qui Tanoient visitée auant moy. le disnay donc et malgré elle ie le conserué. Quant on vint au souper le temps estoit tousiours violent, non toutesfois que nous fussions a la cap les basses voiles portant si bien que nous ne fesons que louvoier, Tappréhension que iay de la visite que iestois obligé d'aller rendre a nostre agréable demeure m'obligea de ne pas me rassurer comme mon ventre le requeroit dont ie me trouué fort bien n'en ayant pas esté incommodé et ie repo- say asses bien la nuit. Le lendemain nous eusmes tousiours vent contraire qui estoit notre bon amy l'ouest, toutefois nous auancions tousiours vn peu en portant tantost d'un bord et tantost de l'autre. Pour le mal de mer ie le congédié il ne me restoit plus qu'un grand appétit et aussi un grand etourdisse- ment, ie puis dire que de tous ceux qui n'auoient point esté sur mer ie fus le moins incommodé n'aiant perdu que deux repas et il y en auoit qui auoient desia esté sur mer qui se trouuoient beaucoup plus incommodé que moy. Depuis ce temps ie n'ay point esté malade quoique nous aions eu force gros temps. Ainsy ie n'ay pas faict de me plaindre sur ce que iay vu endurer aux autres. le croiois que je serois beaucoup plus maltraité aient vomy pour le moins 17 ou 18 fois lorsque ie vins seulement a bord ainsy que ie vous le mandé quand ie mis pied a terre. Après vous auoir entretenu de la manière dont iay — 136 — esté ie vois reprendre mon discours en reuenant a nostre nauigation qui fut tousiours fort [mauuaise estant obligé de temps a autre 'de"mettre a la cap, nous y fusmes obligés au bout de 8 ou loiours encore par vn vent de surois (sic) qui suruint, lequel nous tourmenta tellement que Ton ne sçauoit que dire ; heureusement ce temps ne dura que 12 heures, après quoy, nous eusmes vn peu de respit par vn vent de suest (sic) qui nous fist faire une trentaine de lieux assez viste. Comme nous n'estions pas heureux il finit bientost, après quoy le calme nous vint rendre visite et si il auoit duré iusques a cette heure nous serions encore ou il nous prist; comme nous ne nous soucions guère de luy il prit congé de nous, pour aisser passer notre bon amy Touest qui^auoit autant de malédiction que Ton en peut faire a vn vent con- traire. Ce n'est pas que nous (n') auancions tousiours vn peu ; mais il faloit faire une quarantaine de lieues pour qu'il y en eust 10 a nostre route, ainsy nous prenions bien le plus long. L'onpeschoit, en chemin fesant, des (wof illisible) qui est vn poisson assez gros de la façon d'un saumon excepté qu'il a des alerons beaucoup plus grands. Pour le manger il est fort sec, ainsy il n'est pas fort délicat, ce qui nous en fist bientost rassasier. Nous rencontrasmes vn nauire qui fut pris dabord pour vn algérien, ce qui causa vn peu de consternation dans le nostre n'aiant point enuie de nous en aller en ce païs la. Chacun com- mença a s'armer a qui mieux mieux, les uns estoient sur le château d'auant (i), les autres sur la dunette et le gros estoit entre deux pons. L'on allumoit (i) Le gaillard d'avant. La dunette se trouve au-dessus du gail- lard d'arrière. — 137 — (lesia les mèches pour faire ioiier le canon, le temps mesme sembloit s'accorder aiiec nous n'y ayant presque point de vent; nous estions assez résolus de nous hicn deffendre; y aiant vn bon nombre de passa^^crs ils ne disoient pas leurs pensées ; ie crois pourtant qu'ils auroient bien tous souhaité estre chez eux ; pour moy ie vous assure que cela m'estoit fort indiffèrent et mesme ie puis dire que ie souhai- tois en quelque manière voir vn pareil combat, quoi- que selon toutes les apparences les forces n'eussent pas este égales, n'aiant dans nostre vaisseau que cent hommes en comptant les passagers, ce n'est pas que ie crois que nous (ne) nous serions bien deffendu. Après nous estre approché lun de l'autre sans nous rien dire chacun s'en alla a sa route; ainsy nous ne sçumes point si cestoit vn turc ou vn vaisseau mar- chand. Si nous auions esté aussy bien sur vn vaisseau du roy, nous l'aurions obligé a nous venir parler, a bons coups de canon ; de peur de surprise nous ne le voulusmes point faire. Cela nous arriua a 80 lieues de La Rochelle, depuis ce jour nous ne vismes rien qui nous fît reprendre les armes, comme ces corsaires ne sont appréhendés que iusques au cap Finister qui est a 170 lieues de La Rochelle. Nous eusmes vn peu de vent fauorable qui nous fit passer ce rhud'endroit ; comme il ne s'y est rien passé depuis cela de re- marquable dans nostre maison tremblante iusques vers la nostre dame d'aoust ie ne parleray point du tout du temps estant tousiours le mesme a nostre égard c'est a dire tout a fait contraire, lequel aug- menta d'une si violente force qui {sic) falut encore mettre a la cap. Nous fusmes si tourmentés que nous ne sçavioas quasi plus ce que nous deuiendrions. Il - 138- dura pendant 8 jours sans discontinuer excepté vn peu le jour de la mi aoust qu'il donna vn peu de re- lasche pour pouuoir dire la messe ; il sembla ne s'estre appaisé que pour nous donner ce temps la aiant recommancé après d'une si grande violence qu'il falut amener les grandes vergues sur le pont et aller a la mercy des vens ce qui nous fit aler en tra- vers pendant plus de trois heures ; cela veut dire prester le costé aux vagues afm que le nauire puisse mieux résister ; nous estions prest de faire vent ar- rière a. mas (sic) e.t accorde (sic)^ si Ton n'auoit appré- hendé que les vagues venant Tune sur l'autre n'eus- sent ou emporté le gouvernail ou rompu quelque chose qui nous auroit pu faire périr. Vous pouuez iuger en quel estât l'on est dans vn temps comme celuy la, nous ne pouuions pas nous tenir sur le pont ; la mer estoit si haute qu'il sembloit voir des montagnes entassés les unes sur les autres et sy ve- noient auec tant d'impétuosité qu'il nous arrosoit tous. Les nuits estoient beaucoup pires puisque l'on ne pouuoit du tout reposer et il en venoit qui don- noient si fort contre nostre gouuernail que l'on le croioit a tout moment rompu et, marque de cela, c'est qu'une entr'autres fît venir nostre capitaine dans la sainte barbe croiant qu'il y auoit quelque chose de rompu ; en ce temps la une vague vint si furieuse qu'ouurant vn des sabors il entra près d'un muid d'eau par la qui nous arrousa tous et moy principale- ment qui estoit dessous. Si vous auiez vu de quelle manière nous mangions vous n'auriez pu vous em- pescher de rire ; il faloit tenir une quantité de viandes mal cuites, non dans un plat d'argent, ou chacun pour prendre un morceau se tenoit et après cela — i3<) — s'enfuioit comme il pouuoit pour s'asseoir; (juand venoit a boire a moins que (Faller comme jle vent Ton n'en pouuoit venir a bout; Dieu sçait de quelle propreté tout cela estoit, ie vous assure qu'un de- g-outté de feroit gueres bien son comte. Je ne sçau- rois, mon cher irere, vous dépeindre la manière dont nous estions et a moins que de voir des choses pa- reilles il est impossible de les croire. Cela me fait passer ce temps là qui nous jetta tellement du costé du nord que nous ne sçauions plus ou nous estions sans un beau iour qui suruint où Ton prit hauteur. Nous estions fort mal ; nous nous trouuasm^s en ce temps a 48 deg^res et demie du soleil et nous dénions estre sur les 4g et demie pour nostre route. Quand il plut a monsieur le vent nous donner vn peu de bon temps nous reg-agnasmes nostre hauteur ; nous fusmes plus de 10 jours a regagner ce que le mauvais temps nous fit perdre ; comme nous n'estions pas destinés a auoir beau temps nostre voiage nous ne tardâmes gueres a remettre encore a la cap ou nous fusmes 24 heures, après quoy le temps voulant nous donner quelque relasche nous fismes pendant cinq jours beau, coup de chemin après lesquels nous commençâmes à sonder pour sçauoir si nous pouuions trouuer fond. Ce fut en vain les deux premières fois ; enfm le 28 de mois d'aoust l'on trouua fond (i) et il avoit 290 braces d'eau ainsi l'on ne comptoit pas cela pour estre véritablement sur le grand banc estant encore trop nord. 11 se leua pour nous vn vent de norois {.sic) qui nous fut vn peu favorable nous aiant remis a nostre (i) C'était la coutume, quand on avait trouvé le load de crier Vive le roi. (Cbarlevoix, t. III, 51.) — 140 — vraye hauteur laquelle étoit nécessaire pour entrer dans la baie. Auant que de passer plus outre ie crois que vous ne seres pas fasché de sçauoir ce que Ton appelle grand banc ( i) . C^est vn lieu esloigné de France de près de 700 lieues fort connu et recommandable par la quantité de nauires qui y viennent a la pesche ; c'est de la d'où vient toutes les molues (sic) que Ton mange en France ; Ton y en prend des quantités pro- digieuses, c'est tout vous dire que tout ce qui se mange de molue se prend en ce pais la et vn peu plus haut celle que Ton fait sécher. Lon fait ceste pèche ensemble^ les petites on les fait sécher et les grosses on les accommode de la manière dont vous auez pu voir. Comme nous estions là Ton se mit a pê- cher, nous n'en prismes pas beaucoup parce que nous ne voulions pas nous amuser voulant profiter du beau temps. Il est appelle grand banc parce que c'est vn lieu ou Ton trouue fond qui a 80 lieux de long et bien quarante de largeur. Plus Ton vient au sud moins Ton trouue d'eau ; quand nous y fusmes nous ne trouuasmes que cinquante braces d'eau. Le calme nous prit ce qui nous donna le plaisir de la pèche ; nous tombasmes dans vn endroit où il ne fesait pas bon. Aiant pesché, je pris un flétan (2) qui est vn prodigieux poisson qui menge tous les autres ; il est plat et fait comme une saule {sic)] nous en man- geâmes, il se trouue assez bon frit, pour autrement non; aussy bien que la molue fresche vous croiez [i) Le batic de Terre Neuve. (2) Le Flettan, énorme sole de quatre à cinq pieds de long, large, de deux, et d'un pied d'épaisseur. Ce poisson, gris sur le dos et blanc sous le ventre, fait une rude guerre aux morues : on prétend que trois morues suffisent àj peine à le rassasier. — 141 — peut estrc que c'est un fort i^rand régal vous vous trompez, ny aiant rien de si dui» ; on peut la manger fritte encore ne vaut elle guère. De la les courants cjui se trouuent nous firent tomber dans une fosse que Ton appelle la fosse a Bertier ou nous ne trouuasmes plus fond, ainsy la pesche fut Unie. Nous fusmesainsy quelques iours sans auancer a cause du calme qui nous fit reuenir le chaud ; ie ne scay pas si en l'rance il aura fait froid cest esté ; pour nous, nous auons tousiours eu si froid que les jours caniculaires chacun prenoit son manteau et se couuroit comme si Ton auoit esté au fort de Thiuer et nous auons eu ces temps si longtemps que moy qui suis assez dur au froid, comme vous pouuez sçavoir, iay eu des enge- lures aux doits. Après auoir esté a ne rien faire sur le grand banc nous eusmes un peu de vent de suest(j'/^ TABLE DES MATIÈRES Pages. Notice g^énéalogique 7 Introduction 17 Journal du voyage de Monsieur le marquis de De- nonville pour la guerre contre les Hyroquois, etc., l'année 1687, le 23* may 49 Lettre de M' de Baug-y à son frère. Relation de sa traversée. 2'] octobre 1682 131 Lettre confidentielle de M. de Baugy à son frère, 22 novembre 1682 152 Coppie de la Commission donnée par Mons' le Gnal au S"' de la Durantayes pour aller à Missilimakina. i" mars 1683 159 Coppie des Instructions données par Mons"^ le Gnal au S"" de la Durantayes pour le voyage qu'il va faire aux Outaoûax et Meamis. 21 avril 1683 162 Ordonnance de M. de la Barre relative aux congés. II mars 1683 168 Commission de M. de Baugy pour accompagner M. de la Durantayes aux Illinois. 15 mars 1683. . 170 Ordonnance de M. de la Barre relative aux coureurs de bois et déserteurs. 19 avril 1683 172 Ordonnance de M. de la Barre relative à la traite de l'eau de vie, 24 avril 1683 173 2TO — Pages. Ordonnance de M. de la Barre contre Cavelier de la Salle, g mai 1683 174 Ordonnance de M. de la Barre relative aux congés. 10 mai 1683 174 Lettre de M. de Baugy à son frère. Relation de son voyage de Québec à Michillimakinac. 7 juillet 1683. 177 Commission de M. de la Salle au gouvernement de l'Amérique depuis le fort Saint-Louis jusqu'à la Nouvelle-Biscaye. 12 avril 1684 184 M. de la Barre ordonne à M. de Baugy de saisir au fort Saint-Louis les biens de M. de la Salle, au- quel il a prêté quatre mille livres pour passer en France. 26 juillet 1684 186 Ordre du Roi à M. de la Barre de protéger M. de la Forest qui retourne aux forts de Frontenac et de Saint-Louis rendus à Cavelier de la Salle, 15 avril 1684. 20 février 1685 187 Ordre au chevalier de Baugy de remettre à M. Henry de Tonty le fort Saint-Louis restitué à Cavelier de la Salle, 29 septembre 1684. 26 juin 1685 188 Remise du commandement du fort Saint-Louis par le chevalier de Baugy à M. Henry de Tonty. 26 juin 1685 189 Ordres de marche, mots d'ordre (19 juin à 23 juillet 1687) 190 Certificat délivré par le marquis de Denon ville au chevalier de Baugy qui retourne en France. 15 oc- tobre 1689 207 Congé de M. de Baugy. 1 novembre 1689 .... 208 Table des matières 209 V* IMPRIME PAR MERSCH ET C" à Dijon. m- ;>^k:^..^u "■■^'V"^ i to •H a :^ et O U H CD QJi ^o -H 00 H cv2 >; to ai — I a •H u o .fi d H d d a a i q ai ^ H ^ o University oi Toronto Library DO NOT REMOVE THE CARD FROM THIS POCKET Âcme Lîbrary Gard Pocket LOWE-MARTIN CO. Limitbo ^' il É!' i